Lire religieux - Raconter le frère André
Quoi qu'on en pense, l'histoire du frère André (1845-1937) reste fascinante. Qu'un petit religieux illettré ait suscité un tel engouement, dont les échos se sont répercutés au Canada, aux États-Unis et en Europe, et qu'il soit à l'origine d'un des plus spectaculaires lieux de pèlerinage du Québec ne laisse pas d'étonner. L'homme, c'est le moins qu'on puisse dire, a eu son effet. Le 17 octobre prochain, il sera canonisé.
Parmi les nombreux livres qui ont été consacrés à cette fabuleuse histoire, Le Frère André. L'histoire de l'obscur portier qui allait accomplir des miracles s'impose comme la biographie de référence. Oeuvre de l'historienne, romancière et journaliste Micheline Lachance, cet ouvrage, d'abord publié en 1979 et qui reparaît cette année dans une nouvelle édition mise à jour et augmentée de quelques bonnes pages portant sur le processus de canonisation, est une biographie grand public de qualité.Dans un style journalistique clair et simple mis au service de l'histoire à raconter, Micheline Lachance relate des dizaines de guérisons miraculeuses attribuées au frère André, l'engagement obsessionnel de ce dernier dans le projet de construction de l'oratoire Saint-Joseph et le mode de vie archi-austère de ce religieux d'une autre époque. Le contexte historique dans lequel a évolué le personnage (exode des Canadiens français vers les États-Unis, Première Guerre mondiale) est aussi habilement évoqué.
Cette biographie, c'est sa force, n'est pas une hagiographie. Micheline Lachance ne conteste pas les miracles imputés au thaumaturge, mais elle présente abondamment les polémiques qu'ils ont suscitées. Au final, elle choisit de laisser planer un doux mystère sur ces prodiges, en laissant dire au père Benoît Lacroix qu'«il faut capituler devant la superstition quand elle n'est pas désordonnée» et ne sert pas aux Églises à s'enrichir.
Cette relative complaisance à l'égard d'une croyance magique peut néanmoins choquer, autant les rationalistes sceptiques que les croyants qui refusent le «freak show» de la foi. «Ceux qui sont guéris vite sont ceux qui n'ont pas la foi», répondait le frère André, quand on lui demandait d'expliquer pourquoi certains guérissaient et pas d'autres. «Ceux qui ont déjà une foi solide, ajoutait-il, ne sont pas guéris vite; parce que le bon Dieu préfère les éprouver, les faire souffrir pour les sanctifier davantage.» N'importe quoi, en d'autres termes, comme ces dons divinatoires prêtés au religieux par certains de ses amis et rapportés par la biographe.
Micheline Lachance, qui nous apprend au passage qu'Adélard Godbout disait avoir été guéri d'un mal de genou par le frère André et que des religieux ont tenté sans succès de poursuivre l'oeuvre de guérisseur du frère après sa mort, insiste aussi sur «l'immense froideur du frère à l'égard des femmes», qui «lui tapent sur les nerfs».
Sans gommer les aspérités du personnage, cette biographie se veut essentiellement bienveillante à son endroit et envers les transports populaires qu'il a entraînés. Elle raconte avec tendresse, tout en gardant une certaine distance, un des visages de la foi d'hier que d'aucuns, peut-on toutefois déplorer, ont la faiblesse de vouloir faire perdurer.
Bien rédigé, cet ouvrage n'est cependant pas exempt de fautes linguistiques (un discours «provoquant»). Sa plus savoureuse coquille se trouve à la page 329, quand le frère André incite ses amis à prier en disant «Notre Père qui êtes aux deux». Pas sûr que le scrupuleux petit homme aurait apprécié.
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