L'entrevue - Sus aux anti-foie gras

Elle a introduit le foie gras aux États-Unis dans les années 80, par passion pour ce mets fin qui fait le renom de sa région d'origine, la Gascogne, en France. Elle s'est butée à l'ignorance, puis à la levée de boucliers des groupes de pression animalistes qui ont juré, à grand coup de campagne médiatique, d'avoir sa peau comme celle de ses terrines, issues du gavage des oies et des canards.
Mais la marchande de terroir Ariane Daguin n'a pas encore baissé les bras. Et à l'image des mousquetaires — dont elle dit descendre directement —, elle annonce même son intention d'accentuer la résistance contre ces pourfendeurs de mangeurs de foie gras, et ce, avec l'aide de plusieurs artisans du terroir du Québec d'ailleurs. Afin de mettre K.-O. le végétarisme qui, dans sa forme ultradogmatique, ne comprend rien au plaisir, dit-elle.«Ne pas vouloir manger de la viande, sur une base personnelle, c'est une chose», lance à l'autre bout du fil l'entrepreneure américano-française qui vient de résumer ses années de résistance dans un livre, D'Artagnan à New York (Grasset), oeuvre bio-revendicatrice. «Mais quand on cherche à imposer cette décision au reste de la population, en lui interdisant d'accéder aux produits de la viande, ça ne peut pas être une bonne chose.»
Mme Daguin connaît le refrain. Depuis le milieu des années 90, elle est régulièrement la cible des activistes animalistes qui ont décidé, au pays de Barack Obama (beaucoup) et ici (un peu), de crier fort pour rendre illégale la commercialisation du foie gras. Selon eux, ce produit, qui a vu le jour dans le bassin méditerranéen il y a 4500 ans, induirait une pratique agricole cruelle: le gavage des oies et des canards.
Leurs campagnes ont d'ailleurs porté. L'État de Californie vient d'adopter une loi qui va répondre dès 2012 à l'attente des animalistes, «un petit groupe d'illuminés», écrit-elle. Dans le passé, Chicago a également banni la vente de ce produit dans les restaurants, avant de revenir sur cette décision un an plus tard, sous la pression des restaurateurs de la ville des vents et de leurs collègues de partout au pays qui n'ont pas manqué de souligner l'absurdité de la réglementation.
«Ces restaurateurs n'ont pas eu peur de se lever pour dénoncer une décision odieuse, dit-elle. Si l'on commence à interdire l'usage de produits alimentaires comme le foie gras, on ouvre une porte. Après ça, c'est quoi? Le sucre parce que ce n'est pas bon pour la santé? Les huîtres et les poireaux parce qu'ils souffrent quand on les ouvre ou qu'on les sort de la terre?»
Le ridicule de la chose est, selon elle, évident. Et elle dénonce ces États ou ces administrations municipales américaines qui lui accordent autant d'attention, en mettant un cadre légal autour d'une idéologie forcément néfaste pour la gastronomie et le plaisir de bien manger. «La cible n'est pas la bonne, dit Mme Daguin. Mais c'est la plus facile pour ces groupes qui cherchent toujours le chemin le plus simple pour faire avancer leurs revendications [contre la cruauté envers les animaux]. Ils ont ici un produit tiré d'un organe [méprisé par les consommateurs américains], à consonance française [en anglais, on le nomme foie gras], associé à l'élite et peuvent du coup rallier beaucoup de monde derrière eux sur ces bases. Ils sont aussi très puissants, disposent de beaucoup d'argent qu'ils récoltent par l'entremise de campagnes portées par des vedettes d'Hollywood.»
Les États-Unis en bas de la liste
Et bien sûr, même si le message des animalistes a des failles, poursuit-elle, les promoteurs du terroir n'ont désormais plus le choix de prendre au sérieux ces anti-foie gras, dit la résistante qui vient de constituer un petit groupe de pression, formé de deux producteurs de foie gras du Québec dont les produits se retrouvent sur le marché américain, afin de faire contrepoids, dans les coulisses du pouvoir et sur la place publique, aux campagnes des activistes. «Quand il y a une crise, on dépêche un avocat pour nous représenter, dit-elle. Et puis, on fait visiter les élevages, on fait de l'éducation...»
La riposte est nécessaire, même si le marché qu'elle cherche à protéger est une niche loin de placer les États-Unis dans le peloton de tête des pays mangeurs de foie gras. En fait, il est en bas de la liste avec une consommation, dans ce bassin de 309 millions de consommateurs, d'à peine 780 000 foies gras par année, principalement pour le bon plaisir d'une clientèle captive et convaincue, forcément insensible aux cris des activistes. «Mais c'est une question de principe», dit Mme Daguin qui croit que les mouvements d'opposition qui font de l'alimentation leur fonds de commerce devraient davantage tirer sur la malbouffe et les coûts sociaux et environnementaux du hamburger que sur les produits du terroir.
«Pour avoir un bon produit, il faut s'assurer du confort des animaux de ferme, résume avec son accent chantant la Gasconne qui a débarqué dans la Grosse Pomme en 1977 pour y vivre son rêve américain. Pour que le foie gras soit bon, il faut prendre soin des animaux. Une bête stressée ne donne pas de la bonne viande dans une assiette. Mais ce ne sont pas des choses faciles à faire comprendre à des végétariens.»