Victoire pour le logiciel libre
La Cour supérieure du Québec estime que la Régie des rentes du Québec (RRQ) a agi illégalement en 2008 en octroyant un contrat informatique sans appel d'offres à Microsoft pour la mise à jour de 800 postes de travail.
Dans la foulée, le tribunal souligne également l'incohérence du gouvernement qui, tout en reconnaissant les avantages économiques et structurels des logiciels à accès libre pour assurer la pérennité et la flexibilité de son parc informatique, peine à faire de la place à cette technologie dans son processus d'attribution de contrats, et ce, au profit de multinationales du logiciel propriétaires associés à de coûteux «droits exclusifs de licences». Les défenseurs des applications libres de droits applaudissent.«C'est une très bonne décision pour nous, a indiqué hier au Devoir Cyrille Béraud, président de Savoir-Faire Linux, une entreprise qui fait la promotion du logiciel libre et qui a décidé de contester devant les tribunaux la validité du contrat accordé à Microsoft par la RRQ. Mais c'est aussi une grande victoire pour le gouvernement du Québec qui, avec ce jugement, a désormais un outil pour se libérer de la mainmise des multinationales sur son système d'information.»
Dans son jugement d'une quarantaine de pages rendue hier, le juge Denis Jacques estime en effet que la RRQ a manqué à son devoir en octroyant un contrat de 722 848 $ à la firme Compugen, distributeur de produits Microsoft, pour la mise à jour de ses postes de travail. Pour la Régie, un seul fournisseur, soit la multinationale américaine, pouvait répondre à ses besoins informatiques et, dans ce contexte, le Règlement sur les contrats d'approvisionnement, de construction et de services des ministères et des organismes publics, lui permettait donc d'octroyer ce contrat de plus de 25 000 $ sans mise en compétition.
Mauvaise lecture, dit la Cour supérieure qui juge que la Régie n'a finalement pas fait la preuve qu'aucun autre système ne pouvait servir ses intérêts numériques avant de signer le chèque. «Le Tribunal estime qu'un appel d'offres aurait permis de mettre en concurrence différents fournisseurs qui auraient pu proposer des solutions originales pour répondre aux besoins de la Régie», écrit le juge, qui a toutefois décidé de ne pas annuler l'attribution du contrat, mais fait entrer dans l'illégalité ce processus d'attribution pour l'avenir. «C'est un jugement qui va faire jurisprudence», a commenté M. Béraud, qui se bat depuis des années contre le monopole de Microsoft dans les équipements de l'administration publique.
Selon lui, les logiciels libres, dont le grand ambassadeur à travers le monde est le système d'exploitation libre d'accès baptisé Linux, pourraient induire des économies importantes pour les gouvernements. Ses applications, téléchargeables gratuitement, sont aussi utilisables sans le paiement de droits. Leur code informatique est également ouvert, ce qui permet à tous de les manipuler et de les façonner en fonction de besoins précis avec, à la clé, une plus grande indépendance par rapport à certains fournisseurs.
Mieux, ces «logiciels libres offrent un grand potentiel en matière de sécurité de l'information et de protection de la vie privée des citoyens», estime même le ministère des Services gouvernementaux dans un document présenté sur son site Web, comme le juge Denis Jacques le souligne dans son verdict.
Aux États-Unis, l'administration Obama a d'ailleurs décidé de faire à l'avenir plus de place à ce type de logiciels dans les ordinateurs du gouvernement. La France et le Brésil ont également exprimé dans les derniers mois leur intention de faire entrer davantage de logiciels libres dans les équipements informatiques gouvernementaux. «Ce sont des logiciels qui garantissent un accès équitable à la technologie en plus de contribuer à un développement durable des systèmes d'information, dit M. Béraud. Le logiciel libre, c'est finalement une question d'intérêt public, ce n'est pas juste une question technique.»
Contacté par Le Devoir, Herman Huot, porte-parole de la RRQ, a indiqué hier que la Régie allait «prendre connaissance du jugement et de ses conséquences sur [elle]» avant de se prêter au jeu du commentaire. L'organisme a 30 jours pour porter la cause en appel, une option «qui pourrait certainement être envisagée», a-t-il précisé.
Ce scénario serait toutefois absurde, selon M. Béraud, représenté entre autres dans cette affaire par le célèbre avocat Julius Grey: «Le gouvernement du Québec ne va quand même pas faire appel d'un jugement qui renforce désormais sa capacité à entrer dans le XXIe siècle et à se moderniser», a-t-il résumé.