Les Noirs dans l'oeil de la police
Dans l'imaginaire du policier montréalais, le jeune Noir est louche, suspect. Exagération? Les statistiques confirment l'existence de ce climat de «sur-surveillance» qui carbure à la peur.
Selon la plus récente étude du Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations (CREMIS), qui sera rendue publique ce matin, les jeunes Noirs couraient 4,2 fois plus de risques que les jeunes Blancs d'être interpellés par la police de Montréal en 2006-07. Dans les quartiers où la population noire est peu présente, comme Outremont, Hochelaga-Maisonneuve ou le Plateau Mont-Royal, c'est encore pire. Un jeune Noir y court sept à onze fois plus de risques qu'un jeune Blanc d'être abordé par les forces de l'ordre.Pour la plupart des infractions, la surreprésentation des jeunes Noirs dans le système de justice serait «directement tributaire d'une surveillance accrue de la part des policiers et des agents de sécurité dans l'espace public», tranche cette l'étude dont Le Devoir a obtenu copie.
Les chercheurs, Christopher McAll et Léonel Bernard, passent en revue les dossiers de la Chambre de jeunesse de Montréal pour l'année 2001 afin de comparer le traitement réservé aux délinquants noirs et blancs pour des infractions similaires.
Peu importe la nature des crimes dont il est question, les agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ou les agents de sécurité étaient plus enclins à observer et sanctionner les gestes de délinquance commis par les jeunes Noirs.
Les auteurs vont même jusqu'à parler d'une «sur-surveillance», un phénomène qui ressort nettement dans le cas de la consommation et du trafic de drogue.
En effet, un jeune Noir court sept fois plus de risques qu'un jeune Blanc d'être observé et arrêté par la police après avoir fumé de la marijuana ou avoir vendu des stupéfiants dans l'espace public.
«Ce qui surprend, c'est que, dans la majorité des arrestations de jeunes Noirs sous ce chef d'accusation dans notre échantillon, l'arrestation fait suite à un comportement observé par un policier ou un agent de sécurité dans l'espace public», précisent les auteurs.
S'il y a plus de jeunes Noirs accusés de consommation ou de trafic de drogue, ce n'est pas parce qu'ils ont la «fibre» délinquante plus développée que leurs pairs. C'est plutôt parce que la police ne les lâche pas des yeux.
Pour les vols et les bris de condition, c'est le même constat: les risques sont plus élevés pour les jeunes Noirs que pour les jeunes Blancs d'être pris en flagrant délit.
«Ces données convergent vers la conclusion que les jeunes identifiés par les policiers comme "Noirs" sont davantage surveillés par eux et par les agents de sécurité que les jeunes identifiés comme "Blancs"», affirme l'étude du CREMIS, intitulée «La mauvaise conseillère».
Sur-surveillance
Avec l'enquête du coroner sur la mort de Fredy Villanueva en toile de fond, cette analyse est susceptible d'alimenter le contentieux entre les membres des minorités et le SPVM.
En entrevue, Christopher McAll refuse de taxer les policiers de racisme. À ses yeux, ils ne sont que les «dignes représentants» d'une société, majoritairement blanche, qui entretient sa peur des jeunes Noirs. Et par leurs interventions répétées auprès de ces jeunes, les policiers contribuent à cimenter et à légitimer cette peur du public. L'accent que certains médias mettent sur les gangs de rue alimente par ailleurs ce cycle autorenforceur, estime M. McAll.
Les auteurs citent comme exemple le dernier bilan du SPVM dans sa lutte contre les gangs de rue. Bien que ces gangs ne soient responsables que de 1,6 % de tous les actes criminels recensés en 2009, ils constituent toujours la principale cible de la police.
Le directeur adjoint, Jacques Robinette, a reconnu que la population accordait «beaucoup d'ampleur, et peut-être un peu plus d'ampleur qu'on le constate sur le terrain», aux gangs. N'empêche. La police garde le cap.
En consacrant d'importantes ressources à la lutte contre les gangs de rue, le SPVM répond donc aux peurs de la majorité, tout en sachant que ces craintes sont non fondées. «La peur, attisée par une attention médiatique importante pour tout ce qui concerne les gangs de rue, pourrait être ainsi un élément central dans la sur-surveillance des jeunes Noirs, que ce soit de la part de la police ou de la part des citoyens eux-mêmes», affirme l'étude du CREMIS, qui s'achève sur une troublante hypothèse.
Les comportements de la police et de la population à l'égard des jeunes Noirs, fondés sur la peur, légitiment l'exclusion sociale, tout en générant à leur tour la peur... chez les jeunes Noirs et leurs familles. Eux aussi, ils finissent par se méfier des policiers et du système de justice. «Derrière la sur-surveillance et la surreprésentation des jeunes Noirs dans le système de justice, on finit par reconnaître les traits familiers d'une très mauvaise conseillère», conclut l'étude.