Aimez-vous les agriculteurs ?

Truisme sans doute, mais vérité oubliée: les agriculteurs nous nourrissent. Un sondage de Léger Marketing démontre qu'il s'agit d'une des trois professions auxquelles les Canadiens accordent la plus grande confiance. Mais alors, pourquoi un si immense désarroi? Faut-il revaloriser le métier d'agriculteur?
En ce dimanche de septembre, c'était le 13, comme chaque automne depuis six ans, une centaine d'agriculteurs ont pomponné leur ferme pour la visite. Chaque année, la journée portes ouvertes dans les fermes du Québec, organisée par l'Union des producteurs agricoles (UPA), accueille une foule de visiteurs. Ceux-ci peuvent ainsi s'initier aux moyens de production et mieux comprendre le quotidien des agriculteurs. «C'est notre plus grosse initiative pour valoriser le métier, explique Patrice Juneau, conseiller aux affaires publiques de l'UPA. Nous partons du principe que les gens de la ville ont perdu de vue ceux de la campagne, alors qu'auparavant tout le monde avait un parent qui travaillait en agriculture.»Patrice Juneau préfère parler de valorisation plutôt que de revalorisation, ce qui supposerait une perte survenue en cours de route. Le métier est toujours bien considéré, et il en veut pour preuve le sondage Léger Marketing dans lequel, depuis plusieurs années, la profession d'agriculteur se classe parmi les trois que les Canadiens respectent le plus, avec les pompiers et les infirmières.
Le métier a tout de même perdu du lustre auprès de la population. Les agriculteurs — éleveurs de porcs en premier lieu, mais aussi producteurs de céréales et de volaille — sont associés à la déperdition de l'environnement, à l'agro-industrie et à une technicisation à l'origine de la malbouffe.
Selon une enquête sur la santé psychologique des producteurs agricoles du Québec, présentée à la Coop fédérée en 2006, 50,9 % des répondants éprouvaient un degré élevé de détresse psychologique. Le stress et les idées suicidaires sont principalement suscités par la surcharge de travail, l'instabilité du marché, les difficultés de financement et les maladies. Mais le manque de reconnaissance sociale a été déploré par 61,4 % des producteurs laitiers interrogés, 53,7 % des producteurs de volaille, etc. Or cette reconnaissance est un facteur essentiel de leur santé psychologique.
Lors de la Commission sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire du Québec (CAAAQ), plusieurs producteurs et productrices agricoles ont souligné les critiques qui leur ont été adressées ces dernières années, ainsi que la désaffection ressentie par une part de la population, qui semble avoir perdu de vue le sens de la mission alimentaire de l'agriculture et son rôle dans la revitalisation et le développement économique des régions.
Villes et campagnes
«Si les agriculteurs sont si appréciés, pourquoi écris-tu cet article?», me demande Maria Labrecque Duchesneau. La dame est intervenante psychosociale et directrice générale d'Au coeur des familles agricoles (ACFA), un organisme dont le but est d'aider les agriculteurs et leur famille souffrant de détresse psychologique. L'ACFA a mis sur pied un service de travail-leurs de rang et oeuvre à ériger une maison de répit pour les agriculteurs.
Mme Labrecque Duchesneau ne croit pas du tout au sondage Léger Marketing. «Ou alors, c'est le syndrome "pas dans ma cour".» Exemple? «À Richelieu, pendant la crise du porc, rappelle-t-elle, des citadins ont voulu faire passer une loi interdisant l'utilisation de tracteurs après 18 heures et la fin de semaine. Ça n'a pas passé, mais le seul fait d'y avoir pensé est ridicule.»
Selon l'expérience de la directrice d'ACFA, les gens de la ville se déresponsabilisent en mettant le fardeau de l'environnement sur le dos des agriculteurs, faisant fi, par exemple, de l'utilisation d'engrais en milieu urbain, et ils sont incapables de reconnaître les nécessités de la fertilisation des sols.
De surcroît, affirme Mme Labrecque Duchesneau, les agriculteurs se dévalorisent eux-mêmes. Ils sont à bout de force à cause des maladies, de la pluie, de la lourdeur bureaucratique. Plusieurs auraient envie d'abandonner mais persévèrent, sentant l'obligation de transmettre à leurs enfants l'héritage de plusieurs générations.
De part et d'autre, les intervenants fustigent l'impact des médias sur la profession d'agriculteur. «Essentiellement montréalistes, ils n'abordent trop souvent l'agriculture que lors de scandales, souligne Patrice Juneau. On y parle de pollution, d'agri-BS. L'UPA fait sa part pour transmettre l'information adéquate.» «Dans un récent épisode de Virginie, s'indigne Maria Labrecque Duchesneau, on disait que la grippe porcine tuerait tous les éleveurs porcins! Ça, c'est de la dévalorisation!»
Le manque de reconnaissance sociale influe aussi sur la relève. «Les jeunes n'ont pas envie de se lancer dans un métier où ils seront peinturés dans le coin, constate Jean-Claude Poissant, président d'ACFA et producteur, avec en plus de longues heures de travail et la difficulté de trouver une épouse acceptant ces conditions de vie.»
Vers demain
Valorisation ou revalorisation, la reconnaissance sociale des agriculteurs demeure à bonifier. Les moyens pour y arriver sont multiples.
Les initiatives de rapprochement entre le public et les producteurs, comme Portes ouvertes sur les fermes du Québec, «Je cultive ma citoyenneté» et les camps d'un jour en agriculture, sont incontournables. La récente popularité des marchés publics y contribue également et s'inscrit dans l'esprit des «circuits courts» mis en avant dans le rapport Pronovost.
Pour que l'image des agriculteurs aux yeux du public change, peut-être aussi faudra-t-il que ce soit l'agriculture elle-même qui se transforme. «Quand on parle avec les gens, de dire Jean-Claude Poissant, on se rend compte qu'ils en ont davantage contre la façon dont l'agriculture est pratiquée que contre les agriculteurs eux-mêmes.»
Maria Labrecque Duchesneau souligne que c'est le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec qui a mis les porciculteurs dans la situation où ils se trouvent et que plusieurs d'entre eux regrettent d'avoir écouté le ministère.
Le rapport Pronovost favorise entre autres le soutien de la relève, la diversification des formes de production et un meilleur appui financier de l'État. En raison de son jeune âge et de la relative marginalité de sa production — asperges et champignons — Mathieu Beaudry, de Granby, a éprouvé beaucoup de difficultés à trouver du financement, alors même que ses produits sont en demande.
On peut croire que la concrétisation des recommandations du rapport Pronovost facilitera tant la pratique du métier d'agriculteur que sa perception par la population, à condition que soit prise en considération la problématique d'adaptation. Parce que des transformations, les agriculteurs en ont vécu beaucoup, et que c'est une autre source de stress.
***
Collaborateur du Devoir