Dîner en blanc sur l'herbe et le bitume

La scène évoquait un immense mariage ou une surprise-party. Une foule dense et joyeuse, toute de blanc vêtue, s'agitait autour de tables tout aussi blanches. Mais pour ces noces, pas d'époux, hormis les citadins invités à célébrer la ville autrement, le temps d'un chic pique-nique-surprise, méticuleusement organisé.
C'était hier le premier Dîner en blanc québécois. Un rendez-vous élégant, gourmand et festif dont le lieu demeurait inconnu des participants jusqu'à la dernière minute. Les invités, fruit du bouche-à-oreille (et d'une page Facebook), sont arrivés par autobus «nolisés» avec leur propre panier de nourriture et d'alcool. À 19h30, c'était encore un drôle de chaos de chaises, de ballons, de chapeaux élégants et de tissus blancs. Mais 20 minutes plus tard, comme par magie, les tables étaient alignées, dressées et les convives assis — femmes d'un côté, hommes de l'autre —, prêts à lever leur verre à la fête ou à agiter leur serviette de table au-dessus de leur tête, geste aussitôt repris par les tables voisines.Certains s'étaient concocté de vrais petits festins: tartares de poisson, salades printanières et tutti quanti. «J'ai préparé ça hier, se réjouit une dame. On fait beaucoup d'envieux», ajoute-t-elle en jetant un coup d'oeil aux passants curieux.
Chaque groupe d'invités avait reçu dans l'autobus des directives précises pour monter les tables avec les nappes blanches fournies et pour donner forme au banquet. Et c'est sans doute là le tour de force de cet événement: chacun participe à son avènement et personne ne connaît son exact déroulement. Plus orchestré que spontané, avec son groupe de musique live, une petite scène et une plate-forme pour accueillir les médias (!), l'événement vibre pourtant d'une certaine fébrilité liée à l'effet de surprise pour ses protagonistes.
Pour le reste, trois mots d'ordre: élégance, convivialité et savoir-vivre.
Le concept est importé de Paris, où il attire des milliers de convives chaque année depuis plus de 20 ans. L'idée a germé dans la tête de François Pasquier: investir un lieu urbain prestigieux, tenu secret jusqu'à la dernière minute, et y tenir un dîner de manière spontanée. L'esplanade du Louvre, le site de la tour Eiffel, le pont des Arts, le Champ-de-Mars ont ainsi déjà servi de décor au chic pique-nique. L'édition parisienne 2009 a réuni quelque 12 000 Parisiens sur la place de la Concorde.
C'est Aymeric Pasquier, fils de l'autre et Montréalais d'adoption, qui a voulu tenter le coup dans la métropole avec son ami Bobby. «Le temps d'un souper, les invités se réapproprient une part de leur patrimoine en le mettant en valeur par leur seule présence», peut-on lire sur le site Internet du Dîner. D'où l'exigence de bulles, de blanc et de bon goût.
On voulait un site remarquable de la ville, on a choisi les abords du quai Jacques-Cartier dans le Vieux-Montréal, avec la coupole illuminée du marché Bonsecours en arrière-plan. Les paris sont ouverts pour deviner où se tiendra le prochain Dîner en blanc. Victimes de leur succès, les organisateurs ont été «dans l'obligation de fermer les inscriptions pour le Dîner en blanc de cette année», peut-on lire sur le site Internet. Mais on peut déjà s'inscrire sur une liste d'attente pour l'an prochain. Et Aymeric Pasquier promet d'allonger sa liste d'invités.
Pour écrire ces lignes, Le Devoir n'a pas pu attendre «la sonnerie de trompes de chasse» promise pour annoncer la fin des noces. Seuls les 1000 invités élus pourront raconter s'ils ont rencontré un prince charmant, se sont transformés en citrouille, ou ont simplement émergé d'un rêve immaculé...