Des vacances coûte que coûte

Crise ou pas, les plus riches continuent de voyager en dépensant sans trop compter. Mireille O. Kostopoulos, concierge du W de Montréal, satisfait les moindres désirs (ou presque) de la clientèle huppée de son établissement. Son mot d'ordre: «Quand vous le voulez (du moment que c'est légal)».
Un soir, il y a quelques années, un client de l'hôtel W de Montréal, «vêtu d'une espèce de combinaison lunaire blanche», a approché la concierge Mireille O. Kostopoulos pour lui demander «une faveur un peu spéciale». Il quittait l'hôtel le lendemain matin pour le Burning Man Festival, une rencontre artistique et bariolée du Nevada, et il avait «absolument besoin» d'une combinaison tout en cuir pour y faire bon effet. La dame à tout faire avait trente minutes pour réagir avant la fermeture des commerces. Elle a déniché le costume de rêve dans une boutique sadomaso de la rue Saint-Hubert.«Ce n'est finalement pas très excentrique: j'attends encore la grande demande complètement folle, celle qui se distingue dans une carrière», commente Mireille O. Kostopoulos, concierge depuis sept ans du W, un des hôtels chic et branchés de Montréal, situé au square Victoria, dans un bâtiment ayant déjà abrité la Banque du Canada. «Certains de mes collègues ont des histoires vraiment beaucoup plus étonnantes à raconter.»
Des exemples? Le ténor Luciano Pavarotti logeait à l'Omni de Montréal il y a quelques années quand il a demandé au concierge de faire déplacer dans sa suite un magasin de chaussures au complet, en tout cas un large inventaire. Il aurait acheté environ 70 paires de chaussures pour lui et sa famille. «C'est déjà cocasse d'entendre qu'un Italien magasine pour ses chaussures au Canada», note l'espiègle Mme Kostopoulos, elle-même sapée sans aucun «fashion faux pas», comme disent ses clients anglophones.
Le W emploie deux autres concierges. La crise ne semble pas affecter les clients, toujours assez nombreux, avec des demandes toujours aussi excentriques, selon la miséreuse perspective du vulgum pecus. Un collègue de Mme Kostopoulos a reçu une cliente éplorée qui avait quitté l'Alberta juste après avoir perdu son chat. En utilisant les concierges albertains de la chaîne hôtelière, il a fait placarder des avis de recherche, a retrouvé, puis livré le minou à Montréal à sa maîtresse.
N'est-ce pas un peu excessif? On peut avoir les moyens de tout se payer, faut-il pour autant oser? «Ce qui est important pour moi ne l'est pas nécessairement pour vous, répond la plénipotentiaire des palaces, capable d'éviter avec style à peu près n'importe quel piège. Mon métier me demande de me mettre dans les souliers du client, pour aider sans juger. Certaines demandes semblent excessives à ceux qui n'ont pas de moyens. Mais justement, nos clients en ont, des moyens, et qui sait ce qu'ils font de bien par ailleurs avec leur argent, par exemple en soutenant des oeuvres de charité?»
De vieux messieurs
Jeune, grande, mince et immédiatement sympathique, Mme Kostopoulos n'abuse vraiment pas de son droit à la «mocherie». Est-ce le physique de l'emploi? Pas vraiment. La plupart de ses collègues sont des hommes, et souvent âgés. En Europe, la profession demeure dominée par les vieux messieurs, qui inspirent confiance comme les majordomes expérimentés.
La profession est née sur ce continent il y a environ 1000 ans. Au palais royal, au château médiéval comme à l'hôtel de grand standing (quatre ou cinq étoiles), le concierge accueille, renseigne et conseille les visiteurs. Discret, serviable, il répond à toutes les demandes, ou presque: il réserve une table, propose une exposition, organise une excursion.
«Plus de 95 % des demandes relèvent du quotidien, explique encore Mireille Kostopoulos. Par exemple, ici, on accepte les animaux et parfois les clients nous demandent de prendre rendez-vous pour un toilettage ou d'organiser une promenade. On nous consulte aussi beaucoup pour dénicher des activités avec les enfants, au Biodôme, au Cosmodôme ou ailleurs.»
Elle est arrivée à ce métier atypique après en avoir abandonné un autre (celui de coloriste) pour des raisons de santé. «Je voulais mettre à profit mon expérience de travail avec le public, explique la surdouée de l'entregent. Une amie m'a parlé du travail de concierge. Dans ces deux emplois, l'essentiel est de faire une différence pour le client, même avec une petite touche qui peut être jugée superficielle.»
Elle a fait ses classes pendant neuf mois (dont trois de stage) dans la défunte branche montréalaise de l'Institut de conciergerie international et a même fait partie de la dernière promotion, en 2002. Elle répète maintenant ce qu'elle a vite compris en s'initiant aux arcanes de la profession: «La définition de tâche d'un concierge, c'est de ne pas en avoir. On fait de tout, des plus grandes demandes aux plus simples. J'ai déjà procuré à une cliente une pilule du lendemain. Je réserve constamment des places au restaurant, mais encore faut-il toujours s'assurer de comprendre les goûts et les attentes du client.»
Une pro, full patch
Membre de l'organisme professionnel Les Clés d'or du Canada, elle arbore fièrement ses doubles clés croisées au revers de son impeccable veston. «Un jour, un musicien d'à peine vingt ans, membre d'un groupe de musique connu, est venu me voir pour me dire qu'il allait jouer en Californie et voulait se faire tatouer par la célèbre Kate von d. Je n'avais qu'une clé à l'époque; il l'a remarqué et m'a dit que je n'aurais aucune difficulté à le satisfaire puisque j'étais une pro.»
La concierge full patch (pourquoi pas?) a finalement été aidée par un collègue californien qui avait le carnet de bal souhaité. Le rockeur a été tatoué le lendemain de son arrivée à Los Angeles.
«Le titre de concierge est un peu galvaudé, malheureusement, dit la professionnelle. Des hôtels de trois étoiles prétendent offrir le service. Les clés assurent que j'ai des contacts partout dans le monde et que je respecte les règles éthiques de ma profession, par exemple que je n'accepte aucun pot-de-vin des restaurants auxquels je réfère des clients. C'est un signe d'excellence.» Les pourboires ne sont pas interdits, ni la quote-part pour certains services comme le transport en limousine.
Les membres en règle se réunissent une fois par mois pour échanger des trucs et rencontrer des fournisseurs de services. Ils sont environ 25 à Montréal et plusieurs milliers dans le monde. «Le mot d'ordre, c'est le service par l'amitié. Nous sommes tenus de nous entraider.»
La «marque lifestyle» W, forte d'une trentaine d'adresses, dont une vingtaine aux États-Unis, mise sur son service whatever/whenever, traduit par «Quand vous le voulez (du moment que c'est légal)». Mme Kostopoulos insiste: elle ne fournit ni drogue ni escorte aux clients, jamais, un point c'est tout.
«Quand un client me fait comprendre qu'il cherche de la compagnie et qu'il est prêt à payer, je lui envoie les pages jaunes en lui demandant d'effectuer la démarche lui-même. Après, il peut recevoir qui il veut dans sa chambre, ça ne me regarde pas.»
Tous les employés reçoivent une formation de base pour satisfaire les souhaits et désirs des clients. Chaque réservation de chambre s'accompagne d'une mention du service de conciergerie. L'hôtel offre maintenant un forfait de maniaque du shopping avec une styliste pendant quatre heures.
Parlant d'achat... Mme Kostopoulos raconte une dernière anecdote léguée par la désinvolte upper high class. Un jour, un collègue new-yorkais a appelé à l'aide la concierge du Sofitel de Montréal parce qu'un de ses clients avait acheté deux chiens husky dans un chenil près de la frontière et souhaitait les faire livrer au plus vite à Manhattan pour l'anniversaire de sa femme.
«La concierge a non seulement trouvé une limousine pour la livraison mais a en plus poussé le zèle jusqu'à enrubanner les chiens de grosses boucles, raconte la concierge, qui y voit un exemplaire dévouement. Ils s'appelaient Fire et Ice, je m'en souviens. Ils ont évidemment été livrés à temps...»
N'importe quoi... N'importe quand...