L'entrevue - Pour le droit d'aider la mort

Bernard Senet l'avoue sans aucun regret: il a déjà aidé des mourants à «partir». Un cocktail létal, une dose de morphine légèrement trop forte. Les yeux se ferment, le souffle s'arrête, l'âme se rend. Tout doucement, sans souffrance. «C'était toujours à la demande du patient», insiste ce médecin français, généraliste dans le Vaucluse. Oui, bien sûr. N'empêche, le cofondateur de l'unité de soins palliatifs à l'Hôpital de l'Isle-sur-la-Sorgue est un hors-la-loi. Légalisée en Belgique, aux Pays-Bas et dans l'État américain de l'Oregon, l'euthanasie est encore interdite en France, tout comme au Canada. Pire: elle est jugée comme un meurtre au premier degré.
«Je suis un des rares médecins et peut-être le seul en activité qui a aidé des gens à mourir et qui le dit ouvertement», avance le Dr Senet, qui sera en tournée au Québec cette semaine comme conférencier. Selon M. Senet, ne pas reconnaître que, chaque jour, des médecins abrègent à jamais les souffrances de leurs patients relève de la pire hypocrisie.L'ancien président François Mitterrand aurait été aidé à mourir, de même que des auteurs français célèbres. «Je reçois beaucoup de témoignages de médecins qui m'appuient. Plusieurs d'entre eux aident des gens à mourir, mais ne le diront jamais. Ils ont peur de la loi.»
Il est vrai que des médecins ont déjà été cités à procès, sans toutefois avoir été condamnés à des peines de prison ou à des amendes. Pour ce faire, il faut d'abord qu'il y ait une plainte. Et dans le système de justice français, tout le monde est habilité à le faire, y compris le procureur.
L'État réfractaire
Très actif au sein de l'Association pour le droit à mourir dignement (ADMD), Bernard Senet s'estime plutôt «blindé». Malgré les gestes qu'il a pu effectuer, la prison à vie, ce n'est pas pour demain. Il profite d'ailleurs de la tribune qu'il a depuis l'affaire Sébire pour livrer son plaidoyer sur ce droit fondamental, «un pur geste de solidarité». Chantal Sébire était une institutrice mère de trois enfants ravagée par un cancer des sinus qui lui dévorait le visage. En février 2008, elle avait réclamé à l'État le droit de pouvoir mourir. En cas de réponse positive, Bernard Senet était le médecin qui devait lui administrer la potion létale. Mais les tribunaux ont rejeté sa requête qui était jugée «irrecevable» en regard de la loi Leonetti sur la fin de vie, qui écarte l'exception d'euthanasie et de l'assistance au suicide. Mme Sébire s'est elle-même chargée de son destin. On l'a retrouvée morte un mois plus tard d'un empoisonnement aux barbituriques.
«Au même moment, les Belges aidaient à mourir Hugo Claus, un écrivain célèbre qui était atteint d'une maladie évolutive au cerveau», souligne le Dr Senet. La France, pourtant voisine, était à des lieues de cette réalité. Pourquoi? «En France, le pouvoir médical est très hiérarchisé. Les médecins n'ont pas nécessairement envie que ce soient les malades qui décident», croit le Dr Senet. Le milieu des soins palliatifs relevait autrefois du domaine de la charité et était sous la gouverne de l'Église, avance-t-il comme autre hypothèse. «C'est plus conservateur. Il y a une résistance de ce côté-là», constate M. Senet. «Pourtant, les derniers sondages démontrent que plus de 80 % de la population veut une loi.» Au Canada, près des deux tiers des patients aux soins palliatifs souhaiteraient que l'euthanasie ou le suicide assisté soient légalisés, selon une étude des Instituts de recherche en santé du Canada.
Donner le droit à quelqu'un de décider du moment de sa mort fait toutefois craindre les dérives. «Dans les pays où la loi est appliquée depuis longtemps, il n'y a pas de dérives. Les requêtes sont rigoureusement étudiées par une commission», explique le médecin âgé de 60 ans. L'aide à mourir ne concerne à l'heure actuelle qu'une infime partie de la population, et les sondages ont montré qu'on n'y a pas davantage recours dans les pays où l'euthanasie est légale. Aux Pays-Bas, par exemple, 10 % des gens en fin de vie réclament le droit à mourir. Mais, en réalité, étant donné la lenteur des procédures, entre 1 % et 3 % de ces personnes obtiennent véritablement ce privilège, note le médecin français. «Légiférer sur une telle pratique nous permettrait justement d'y voir plus clair. De protéger les patients et les médecins aussi.» Car selon lui, les soins palliatifs ne règlent pas tout.
L'interruption volontaire de la vie
Il se plaît à le répéter: Bernard Senet ne mène pas une lutte pour l'«euthanasie», mais plutôt pour «l'IVV» (interruption volontaire de la vie), en référence à l'IVG (interruption volontaire de la grossesse). IVV, IVG, même combat. Il est question ici du droit à disposer de son corps. «À la différence que [celui de l'IVV] est mené par des vieux et des gens malades plutôt que par de jeunes femmes. Ça a moins de poids», déplore-t-il. «Pourtant, c'est une lutte pour les droits de l'homme, au même titre que celui de la liberté d'expression et de circulation des idées», ajoute le médecin qui s'étonne que, dans une société «aussi individualiste», on n'en soit pas rendu à octroyer ce droit fondamental.
Selon Bernard Senet, ne pas écouter la volonté de ceux qui souffrent est un affront pour ces courageux malades qui veulent «mourir droit dans leurs bottes». «Il faut que le médecin accepte qu'il ne peut pas guérir tout le monde. Il y a un moment où c'est foutu pour le patient. Alors, pourquoi lui lâcher les mains?» demande le généraliste. «C'est une chose terrible et très lourde à porter. Mais si la personne est dans cette démarche et veut mourir, alors pourquoi ne pourrait-elle pas avoir ce privilège-là?»
Parmi ces personnes qu'il a aidées à «partir», une jeune fille dont il n'oubliera jamais la détermination à ne plus vouloir souffrir. C'était au début des années 1980. La fillette avait 12 ans lorsqu'on lui a diagnostiqué un cancer. Malgré tous les traitements pour qu'elle recouvre la santé, les métastases se sont répandues. Le corps de cette jeune fille dans la fleur de l'âge est vite devenu frêle et fragile. Mais son esprit, lui, n'avait rien perdu de sa vivacité. «Le jour de ses 14 ans, elle m'a dit qu'elle ne voulait pas aller plus loin. Elle ne voulait plus maigrir et rester dans un lit. Elle voulait que je l'aide à mourir. Elle avait mûri», se souvient le Dr Senet. «J'en avais alors parlé avec sa mère qui était plus ouverte. Et je l'ai fait.» Aidée du médecin, entourée de ses proches, la jeune fille s'est finalement endormie pour l'éternité. Tout doucement, sans souffrance.
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Invité par l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité (AQDMD), Bernard Senet sera à Trois-Rivières le 14 avril, à Beloeil le 15 avril, à Québec les 16 et 17 avril et à Montréal le 18 avril.