L'intérieur et le dehors
Les Romains avaient déjà compris qu'il fallait le faire. Les Californiens découvrent qu'ils peuvent le faire. Les Québécois rêvent de pouvoir y vivre. Et si le coeur de la résidence était l'extérieur emprisonné au-dedans des murs, dirions-nous que voilà la maison idéale?
De la civilisation latine, plus d'un a oublié les Cicéron et autres rhétoriciens et penseurs. Il en est encore toutefois plusieurs, venant d'un autre temps, de ces jours où les mots «collège classique» désignaient aussi l'étude des civilisations, qui se rappellent que la maison romaine, pas celle des insulae mais bien la patricienne, était un espace où, autour de la cour centrale, étaient placées chambres et aires de service, la façade étant un écran qui isolait de la rue. Alors, le soir venu, on mangeait et discourait à l'air libre, ayant le ciel comme toit et le bruit de ville comme musique. Avait-on alors trouvé la formule de la «maison de rêve»?Aussi, quand le Québécois «caille», au moment où dehors il fait un petit -20 °C, il lui arrive donc ou de rêver ou de réclamer justice: pourquoi les autres ont-ils en permanence ce que lui ne peut obtenir qu'en se déplaçant vers le Sud et autres contrées chaudes?
Châteaux et villas
La maison idéale relève du projet de tout architecte, et de celui qui lui permet de construire «en vrai» son rêve. Quand on pense à Louis II de Bavière, en mémoire reviennent ainsi s'imposer les châteaux de Herrechiemsee ou de Neuschwanstein: le monde du Moyen Âge fait encore rêver les enfants, ces petits et grands qui font de Disneyworld une destination de voyage ou de vacances.
Pour d'autres, plus pratiques, voire plus intellectuels, il y a nécessité de promouvoir les espaces à la Le Corbusier, que ce soient ces aménagements en duplex de la Cité radieuse ou les murs blancs percés de fenêtres de la villa Savoye.
Et certains ne visionnent des films que pour pouvoir, à la suite des protagonistes, entrer dans ces vastes salons où brûlent des feux qui réchauffent ceux et celles que la brume anglaise a transpercés: n'est-ce pas là le motif central de plus d'une carte de voeux qui hier encore se transmettait à Noël?
Pour nous, Québécois, s'il y a résurgence nostalgique, on sait qu'il y a un espace identifié qui nous attend: la maison traditionnelle est de bois ou de pierre et, sur un rez-de-chaussée à la vaste cuisine à laquelle s'adjoint un salon, est collée à l'étage l'autre aire, celle des chambres. Et voilà.
Les lieux autres
Pourtant, depuis des décennies, des architectes ont pensé autrement les lieux: on ira ainsi demain visiter, si l'espace est ouvert au public, le nouveau lieu des moines qu'a dessiné un Thibault bien de chez nous, à Saint-Jean-de-Matha. On attendra aussi que l'Ordre des architectes remette ses prix pour se contenter de reproductions photographiques, à défaut d'espaces bien réels qui pourraient être nôtres.
Pour l'instant, ce sont d'autres modèles qui se répandent. Le Québec vit à l'américaine, ce qui veut dire que la maison est d'abord un ensemble où la vaste cuisine est fonctionnelle, la salle de séjour, envahie par le cinéma maison, la salle d'eau, aménagée pour une vaste baignoire, et le reste comme il se doit: des chambres et des aires de service. Quant à la «poésie», dans plus d'une construction résidentielle, ce sera, pour reprendre l'expression d'une autre, «pour une autre fois».
Et dire qu'en habitation, quand on voit tous les progrès réalisés, tous ces nouveaux matériaux, et qu'on constate aussi les avancées technologiques, il serait possible d'ériger ce qui n'aurait été il n'y a pas si longtemps qu'utopie. Mais, pour cela, il faut vouloir. Le Québec ne sera jamais la Californie, mais il existe déjà des lieux qui font rêver les Californiens. À nous de les faire nôtres.