Association québécoise des organismes de coopération internationale - Sur un pied de paix

Depuis les événements du 11 septembre 2001, l'Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) est sur un pied de guerre. Plutôt de paix, rectifie sa directrice, Francine Néméh. Elle rappelle que, si la menace d'une guerre en Irak a pris le devant de la scène, l'association ne néglige pas pour autant ses activités de réflexion sur la construction de nouvelles solidarités. Tour de piste des priorités.

Dossier chaud s'il en est un, le cas de l'Irak interpelle directement l'AQOCI et les 51 organismes québécois qu'elle regroupe depuis plus d'un quart de siècle. Car tous travaillent sans relâche pour le développement, la paix et la justice sociale dans le monde. «Selon la charte de principes que nous avons adoptée, nous ne pouvons tout simplement pas nous taire devant les catastrophes qui s'y trament», assure Francine Néméh. C'est pour cette raison que l'AQOCI s'est jointe au collectif Échec à la guerre, à l'origine de la grande manifestation pour la paix qui s'est déroulée le 18 janvier dernier. «Si la manifestation de 25 000 personnes a pu avoir lieu, dit-elle sans prétention, c'est parce que ça fait des années qu'on décortique et explique ce qui se passe en Irak.»

Pourtant, il n'y a pas si longtemps encore, l'Irak était un pays relativement développé avec des infrastructures comparables à celles de l'Occident. Aucun des membres de l'AQOCI ne jugeait bon d'y intervenir. Dans le document officiel qui énumère les lieux d'intervention du regroupement, on peut lire que l'AQOCI collabore avec des organisations de base, sociales et communautaires dans plus de 100 pays du monde en développement, soit en Afrique, en Amérique latine, aux Antilles et en Asie. Nulle mention du Proche ni du Moyen-Orient.

«La préoccupation politique pour ces régions n'est pas nouvelle, explique Francine Néméh. Mais en général, nos préoccupations sont liées à notre présence dans les différents pays.» Et comme ces régions ne comptent pas parmi les plus pauvres de la planète, seulement quelques membres de l'AQOCI, dont OXFAM-Québec et Aide médicale pour la Palestine (AMP), y oeuvrent. «Mais en Irak, jamais. Dans les autres pays du Moyen-Orient, à peine, avoue-t-elle. On se retrouve aujourd'hui avec un pays qui a été sciemment sous-développé et dont la population le paie très cher. Qui sait, on devra peut-être l'englober dorénavant.»

La grande concertation

Si la Palestine et l'Irak sont des cas urgents à régler, l'AQOCI maintient toutefois le cap sur des enjeux plus globaux. «On ne peut pas, chaque fois qu'il y a une guerre, développer une programmation uniquement dans les pays touchés», insiste Mme Néméh. Au lendemain des attentats, l'AQOCI a donc mis en place la concertation Comprendre et agir pour une paix juste, qui traite des enjeux de sécurité. Dans le cadre de ce projet, un dépliant expliquant de façon simple ce qu'est le terrorisme a été diffusé à 30 000 exemplaires. Du matériel pédagogique a également été produit autour des thèmes de la paix, de l'immigration, des droits humains et du développement, tandis qu'une série de sessions de formation s'est donnée un peu partout à travers le Québec. De plus, l'AQOCI a organisé des séminaires de réflexion sur les enjeux de sécurité, ce qui lui a permis d'en arriver à 17 recommandations soumises au gouvernement fédéral ainsi qu'au Centre canadien pour la politique étrangère.

L'AQOCI entend bien poursuivre ses efforts autour de cette concertation tout au long de l'année. «On est en recherche de financement pour la poursuite du travail car les enjeux de sécurité continuent de dominer toute la politique», affirme Mme Néméh. Des projets sont dans l'air mais n'ont pas encore été votés: atelier de formation de formateurs, séminaire visant à mettre à jour l'analyse de la conjoncture, production de fiches pédagogiques avec des études de cas, notamment sur l'Irak et la Palestine. De tels outils sont nécessaires pour faciliter le débat public, soutient la directrice.

Consultations

Et ce ne sont pas les occasions de se prononcer qui manquent. Le 14 février prochain, l'équipe de l'AQOCI aura d'ailleurs à remettre in extremis un mémoire sur la politique étrangère du Canada. Le ministre des Affaires étrangères, Bill Graham, a lancé le 22 janvier dernier une invitation à tous les Canadiens à participer en ligne à un «dialogue national sur les priorités et l'orientation de la politique étrangère canadienne». Le document de discussion intitulé Dialogue sur la politique étrangère, disponible sur le site du ministère ou sur commande, serait peut-être tombé entre deux chaises sans les pressions de l'AQOCI qui a réclamé, plutôt qu'un dialogue, des consultations publiques en bonne et due forme. Le ministre a fini par céder, accordant deux semaines avant la tenue de la rencontre à Montréal. «On a beaucoup à dire sur les questions de sécurité, estime Francine Néméh. En juin dernier, on a envoyé une série de 17 recommandations au gouvernement canadien pour lesquelles on n'a jamais eu d'échos à part un accusé de réception.»

Une vaste consultation populaire sur la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) vient également d'être lancée par le Réseau québécois sur l'intégration continentale (RQIC) auquel s'est associé l'AQOCI. D'ici le mois d'octobre, la consultation populaire baptisée «la Consulta» sera ponctuée d'activités publiques, de débats et de formation populaire.

Critique de l'ACDI

Autre priorité: la nouvelle orientation de l'Agence canadienne de développement international (ACDI). L'an dernier, le projet de réforme de l'agence gouvernementale s'était imposé comme une priorité incontournable pour l'AQOCI. Qu'en est-il aujourd'hui? «La critique que nous faisions l'an dernier est toujours d'actualité», indique Mme Néméh. Dans le document qui émane des consultations lancées en septembre 2001 par la ministre de la Coopération internationale d'alors, Maria Minna, autour de ce projet de réforme, l'AQOCI ne note aucun changement de fond. Ce qu'elle reproche à l'ACDI: l'absence totale de reconnaissance du rôle de la société civile et des organisations de coopération internationale. Selon Francine Néméh, la seule place qui leur est réservée se résume à un rôle de sous-traitance dans certaines ententes bilatérales. «Il y a aussi toute la question de l'éducation du public qui est centrale pour nous. Ces deux aspects ne sont traités que dans l'introduction de la ministre actuelle, Susan Whelan, qui dit pourtant avoir pris conscience de leur importance.»

L'éducation du public

En fait, la principale raison pour laquelle des organismes de coopération internationale de tous horizons se sont réunis il y a un peu plus de 25 ans, c'est d'abord et avant tout pour promouvoir l'éducation du public, fait remarquer Francine Néméh. «C'est le parent pauvre de notre travail. C'est là où on a le plus de mal à trouver du financement.» Plusieurs projets soumis au Fonds pour l'éducation et l'engagement du public à la solidarité internationale sont restés sur les tablettes, faute de moyens. Le comité Éducation de l'AQOCI a même entrepris une réflexion sur l'ensemble des programmes et activités d'éducation réalisés par l'association au cours des cinq dernières années. L'objectif: favoriser une plus grande complémentarité entre ses différentes interventions.

L'information passe essentiellement par les Journées québécoises de la solidarité internationale, où les organismes membres organisent annuellement des activités pendant dix jours sous forme de conférences, de jeux, de pièces de théâtre, de films, etc. «On a aussi des programmes comme Québec sans frontières. C'est plus de 400 jeunes par année qui font des stages un peu partout dans le monde», ajoute-t-elle.

Les résultats commencent d'ailleurs à se faire sentir, même s'ils sont difficiles à évaluer, concède la directrice de l'AQOCI. Elle se montre enthousiaste devant la participation accrue du public lors des dernières Journées québécoises. «Suite au 11 septembre, on a senti une soif de savoir. Les activités mordent plus que jamais! On n'a pas l'impression de travailler pour rien.»

Comprendre et faire comprendre. Pour ne pas mettre des pansements sur des problèmes sans essayer de connaître la racine du mal. «L'AQOCI ne peut pas atteindre ses objectifs de développement et de justice sociale uniquement en faisant de l'aide, croit Francine Néméh. L'aide est nécessaire et va de pair avec une réforme des structures internationales. Il faut essayer d'influencer les dirigeants des pays occidentaux car ce sont eux qui tirent les ficelles de la planète. Plus on aura des populations informées, plus on aura des chances de renverser la vapeur.»

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