On a marché sous la terre!

Quand le froid de l’hiver glace ou que le chaud de l’été étouffe, les 30 kilomètres de galeries protégées du Montréal souterrain permettent de se dégourdir les jambes en se soustrayant aux aléas du climat. Et ce, que l’on ait 7 ou 77 ans.
Photo: Quand le froid de l’hiver glace ou que le chaud de l’été étouffe, les 30 kilomètres de galeries protégées du Montréal souterrain permettent de se dégourdir les jambes en se soustrayant aux aléas du climat. Et ce, que l’on ait 7 ou 77 ans.

Que devient la ville l'été, que peut-on y vivre, y voir, y remarquer, y sentir, au-delà de toutes les activités officielles qui se multiplient sous le soleil? Nos journalistes vous font part des découvertes, des coups de coeur ou des sourires en coin que Montréal, Québec ou Ottawa, sous le ciel estival, leur ont inspirés.

Les guides touristiques n'arrêtent pas de le répéter: Montréal, c'est la ville souterraine la plus importante au monde. Et ils expliquent la chose avec une vérité toute météorologique: le froid intense de l'hiver québécois a forcé les humains depuis plus de 40 ans à se creuser des galeries pour survivre.

Il y a sans doute un peu de vrai... qu'il est possible de servir en été, où cette ville intérieure, comme aiment la nommer certains penseurs de l'urbanité, peut aussi très bien protéger les marcheurs. Et leur permettre, pourquoi pas, de faire un peu d'activité physique sur un parcours de cinq kilomètres entièrement à l'abri de la touffeur ambiante.

Pause technique: ce parcours est nouveau. Il est apparu par magie en 2004 avec l'achèvement du Quartier international, qui est venu ajouter quelques maillons manquants à ce réseau. Le Devoir a décidé de l'éprouver la semaine dernière. Ivan Drouin, fondateur de Kaléidoscope, une entreprise qui organise régulièrement des visites guidées de ce Montréal du dessous, était de l'expédition.

Point de départ: le pavillon Sherbrooke de l'UQAM situé dans la rue du même nom, angle Jeanne-Mance. C'est sans doute l'accès le plus au nord de ce vaste réseau souterrain qui, mis bout à bout, donne 30 gros kilomètres de galeries.

Arrivée? La Tour Scotia, dans la même rue plus à l'ouest, au terme d'une balade de plus de deux heures qui amène les marcheurs d'est en ouest en passant par le sud du centre-ville, et ce, par une enfilade de complexes culturels, centres commerciaux, édifices à bureaux, galeries de métro et couloirs parfois cachés. Bilan de l'opération: 5429 pas de marche ordinaire. Pas un de plus.

«Il n'y a pas beaucoup de gens à Montréal qui savent que l'on peut faire une telle balade», résume, en guise de coup d'envoi de la balade, le guide professionnel dont les visites guidées, assure-t-il, s'adressent principalement aux Montréalais et aux habitants des régions alentour. «C'est un secret bien gardé.»

Bien gardé? Plus vraiment, surtout depuis que des promoteurs de ce coin de la ville ont décidé d'exposer dans ce réseau, baptisé justement RÉSO, des cartes qui détaillent avec une précision étonnante la structure complète de ce sous-sol plus que fréquentable. Cette nomenclature en deux dimensions d'un monde qui en a trois s'accompagne également, à certains endroits, d'une nouvelle signalisation censée aider les flâneurs à ne pas se perdre en chemin.

«C'est un début, mais il y a encore beaucoup à faire», dit M. Drouin, tout en contemplant la fresque de Frédéric Back sur un mur de la station de métro Place-des-Arts. «À cet endroit, par exemple, il y a cette oeuvre remarquable, mais aucune affiche n'explique d'où elle vient et qui l'a réalisée. Quant aux indications pour se déplacer, il n'y en a pas toujours. Il faut donc savoir où l'on va.»

Heureusement, le guide connaît l'endroit et la séquence à venir: Place des Arts, puis Complexe Desjardins et Complexe Guy-Favreau. Le Palais des congrès, l'hôtel Intercontinental et le Centre de commerce mondial suivront, avant une autre galerie qui conduit à la porte de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). «Ce tunnel [qui va à la Place Bonaventure] existait depuis longtemps, poursuit M. Drouin en pointant une porte. Mais cela ne fait pas longtemps que le public y a accès.»

Et pourtant. Ces 100 mètres de tunnel, à peine, étaient d'ailleurs plus que nécessaires puisqu'ils permettent aux explorateurs de sous-sol de remonter vers le nord sans mettre le nez dehors, en passant par le coeur historique du Montréal souterrain: dans le désordre, la Place Bonaventure, la Gare centrale et la Place Ville-Marie. «On arrive dans la zone ultracommerciale, prévient le guide, c'est sans doute la moins intéressante du réseau», mais dont il est toutefois impossible de se passer.

Et pour cause! Le Montréal souterrain a été imaginé à l'origine pour permettre au commerce d'être dynamique tous les jours de l'année. Cette activité est donc inscrite dans l'ADN de ce réseau, que plusieurs n'hésitent pas à qualifier d'organique et de chaotique. La raison? Il est en effet composé à 80 % d'éléments disparates posés là par des promoteurs privés, et ce, sans réelle recherche de cohésion et d'homogénéité.

Le résultat s'apprivoise toutefois avec un mélange de surprises et de surstimulation, surtout au sortir du Centre Eaton, de la Place Montréal Trust ou encore des Cours Mont-Royal, qui sonnent la fin du parcours. Heureusement, d'ailleurs, puisque, sur ces petits 5 km, le gros morceau du réseau protégé de Montréal expose, l'air de rien, les marcheurs à près de 800 marches d'escaliers, répartis partout dans les dédales des tunnels.

Ce sont autant de marches qu'il faut affronter pour monter au sommet de la tour du Stade olympique, depuis sa base. Ce qui prouve que ce n'est pas parce qu'on vit sous terre que l'on ne peut pas vivre en santé.

Le Devoir

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