Lacroix: peine réduite du tiers

Vincent Lacroix mérite huit ans et demi derrière les barreaux et non douze, a estimé hier la Cour supérieure du Québec en affirmant que la peine imposée par la Cour du Québec en janvier devenait «exagérée» dans le cadre d'une loi provinciale. L'Autorité des marchés financiers songe à porter la décision en appel.
Malgré cette réduction, la nouvelle peine demeure la plus forte jamais imposée au Canada pour un délit financier au niveau pénal. Avant Norbourg, la plus longue peine était de quatre ans, imposée à un homme d'affaires albertain pour une histoire de fausse invention.Le 6 juin dernier, lors de l'audition de l'appel, l'avocat de M. Lacroix avait qualifié la peine de «nettement déraisonnable» et demandé au juge André Vincent, de la Cour supérieure, de la faire passer de 12 ans moins un jour à seulement cinq ans, soit le maximum prévu par la loi québécoise.
«Dans l'ensemble, on est satisfait de la décision du juge Vincent, qui rend la peine moins disproportionnée, a dit hier Me Clemente Monterosso lors d'un bref entretien. Mais la peine demeure lourde.»
Toutes ces procédures se déroulent au niveau pénal, en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec. Elles sont distinctes des 200 chefs d'accusation auxquels M. Lacroix fait face depuis quelques semaines, qui découlent du Code criminel et peuvent entraîner une peine de 14 ans.
Regrouper les chefs
La décision de 16 pages rendue hier par le juge Vincent repose sur un regroupement de certains chefs d'accusation.
Pour son rôle dans un détournement de 115 millions qui a fait 9200 victimes, M. Lacroix faisait face à 51 chefs, déposés en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières. Il a été condamné en décembre. En janvier 2008, le juge Claude Leblond a prononcé la sentence.
Or la peine imposée par le juge Leblond avait ceci de particulier qu'elle regroupait les 51 chefs d'accusation en trois catégories: avoir manipulé la valeur des fonds communs des clients (article 195.2 de la loi), avoir remis des faux documents à l'AMF (art. 197.4) et avoir berné le grand public en publiant de fausses informations (art. 197.5). De plus, le juge Leblond avait cumulé les peines.
Ainsi, pour le premier groupe, il avait imposé cinq ans moins un jour, soit le maximum prévu par la loi. Pour chacun des deux autres, il avait imposé trois ans et demi. Total: 12 ans moins un jour. La sentence avait été chaudement applaudie, car elle envoie le message que la fraude est un crime violent. (La règle prévoyant la possibilité d'une libération après le sixième de la peine s'applique.)
Hier, le juge Vincent a salué le travail effectué par le juge Leblond. Entre autres, a-t-il écrit, il a bien analysé les peines qu'ont imposées d'autres tribunaux canadiens dans le passé et il avait le droit d'imposer des peines consécutives.
Mais, a dit le juge Vincent, il «faut s'assurer que le cumul des peines ne sera pas déraisonnable» et ne pas oublier que «nous sommes en présence de poursuites pénales en contravention d'une loi provinciale et non en matière criminelle».
Pour conclure à une réduction de la peine, le juge Vincent a estimé que les deux derniers groupes de chefs devraient n'en former qu'un seul car il s'agit, selon lui, de gestes commis dans le même but. Du coup, la sentence a donc été réduite de trois ans et demi.
«Que les faux documents aient été transmis en application de la loi ou fournis à l'AMF ne change en rien l'objectif poursuivi. Pour camoufler ses opérations, il devait fournir de fausses informations», a écrit le juge Vincent.
Un certain recoupement
Le juge Leblond avait lui-même reconnu, dans le jugement de culpabilité, qu'il y avait entre les deux groupes «un certain recoupement». Il concluait malgré tout que les infractions étaient distinctes et «très graves», et que cela justifiait des peines de prison consécutives.
«Il n'était pas justifié, dans les circonstances, de créer deux catégories distinctes dans la fabrication de faux documents, a cependant estimé hier le juge Vincent. Bien que le public n'ait accès qu'à une des catégories, il n'en reste pas moins que la principale raison de leur création était de cacher les opérations des sociétés de Vincent Lacroix.»
Le juge Vincent a ajouté que le juge Leblond «s'écarte du principe de la concurrence des peines» et que «de plus, la peine devient exagérée dans le cadre d'une poursuite en vertu d'une loi pénale provinciale».
Alors que la loi québécoise prévoit un maximum de cinq ans par chef d'accusation, le Code criminel prévoit un maximum de 14 ans pour les cas de fraude grave. Des spécialistes de droit ont affirmé au cours des dernières semaines que le fait d'avoir condamné M. Lacroix à une si lourde peine au pénal pourrait causer problème une fois rendu dans un procès criminel.
L'AMF sourcille
L'AMF a affirmé en fin de journée qu'elle songe à porter la décision du juge Vincent devant la Cour d'appel.
«Dans sa décision, l'honorable juge Vincent a maintenu le principe de consécutivité [sic] des peines pénales, mais ne l'a pas appliqué à l'ensemble des chefs d'accusation auxquels Vincent Lacroix avait été reconnu coupable», a écrit l'organisme réglementaire.
Cette observation laisse entrevoir la ligne argumentaire que pourrait faire valoir l'AMF en Cour d'appel. L'organisme réglementaire n'apprécie probablement pas que des chefs d'accusation découlant clairement de deux paragraphes distincts de sa loi constitutive soient assimilés au même comportement délictuel alors qu'ils traduisent des gestes séparés, posés en des circonstances différentes.
Le juge Vincent a laissé en place l'amende globale de 255 000 $ imposée à M. Lacroix par le juge Leblond.
Les avocats de l'AMF ont déjà reconnu que l'espoir de voir M. Lacroix verser cette somme est relativement faible, car ce dernier est en faillite depuis le printemps 2006. Mais cette amende représente le seuil minimal pour lequel un défaut de paiement entraînerait le maximum de travaux communautaires.
Plaidoyer au criminel
Par ailleurs, Me Monterosso a indiqué qu'il doit rencontrer M. Lacroix aujourd'hui à l'établissement de Sainte-Anne-des-Plaines pour discuter de la poursuite criminelle découlant de l'enquête de la Gendarmerie royale du Canada.
Lorsqu'il a été accusé de 200 chefs criminels, il y a quelques semaines, M. Lacroix a plaidé non coupable. Le Journal de Montréal a cependant écrit récemment que l'ancien patron de Norbourg pourrait changer son fusil d'épaule, ce qui éviterait un procès.
«Dans tous les dossiers, il y a toujours des négociations entre procureurs [de la Couronne] et avocats de la défense pour régler des dossiers», a dit Me Monterosso, refusant de confirmer quoi que ce soit. «Si on peut s'entendre et arriver devant le juge avec une suggestion commune... Tout est possible. Mais il n'y a rien encore de précisé là-dessus, rien de concret.»