Poursuite de 445 000 $ - Mort en prison plutôt que soigné à l'Institut Pinel

La famille d'un jeune homme mort à la prison de Rivière-des-Prairies, alors qu'il aurait été admis en psychiatrie, a intenté hier une poursuite de près d'un demi-million contre l'Institut Philippe-Pinel, deux médecins et le Procureur général du Québec.

La poursuite braque de nouveau les projecteurs sur l'incurie bureaucratique aux conséquences funestes. Justin-Scott Saint-Aubin n'aurait jamais dû se retrouver à la prison de Rivière-des-Prairies, où il est mort d'une arythmie cardiaque, le 28 novembre 2007, après avoir été maîtrisé au moyen de techniques inappropriées.

En avril 2000, un prévenu éprouvant lui aussi des problèmes de santé mentale, Brian Bédard, a trouvé la mort dans des circonstances similaires à la prison de Rivière-des-Prairies. Un sous-comité ministériel a été mis en place pour pallier les lacunes, mais il a cessé ses travaux pour des raisons obscures. Les recommandations formulées par le coroner à la suite du décès de M. Bédard n'ont jamais été appliquées. Si elles l'avaient été, Justin-Scott Saint-Aubin serait encore de ce monde, estime l'avocat de la famille Saint-Aubin, Jean-Pierre Ménard.

Me Ménard parle en connaissance de cause. Il représentait aussi la famille Bédard dans une poursuite civile qui a été réglée hors tribunal récemment. Les termes de l'entente sont restés confidentiels. Pour Me Ménard, l'histoire se répète. «Ils n'ont rien fait, et là il y a une deuxième mort reliée à la prestation de soins inadéquats à la prison de Rivière-des-Prairies», déplore-t-il.

Arrêté dans la soirée du 23 novembre 2007 pour avoir agressé sa mère, Justin-Scott Saint-Aubin a vu le médecin Éric Delage, visé par la poursuite, à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont. Le Dr Delage a prescrit une surveillance constante et une consultation en psychiatrie, flairant que M. Saint-Aubin était en psychose. Le médecin a cependant autorisé le congé et annulé le rendez-vous en psychiatrie après avoir discuté avec les policiers qui accompagnaient l'accusé.

À la suite de sa comparution par vidéoconférence, le jeune de 25 ans a passé quatre jours à délirer dans une cellule, faute de place à Pinel, alors qu'il était placé en isolement et sous contention partielle. Le matin du 27 novembre, Saint-Aubin a finalement été évalué par le psychiatre Jacques Talbot, le deuxième médecin visé par la poursuite. Le Dr Talbot a recommandé l'admission d'urgence de Saint-Aubin à Pinel, ce qui était prévu pour le lendemain. Dans l'intervalle, Saint-Aubin est demeuré à Rivière-des-Prairies, sans médication de surcroît, car le Dr Talbot voulait être en mesure de mieux observer son comportement.

Le 28 novembre, Saint-Aubin est entré dans un état d'agitation extrême. Il criait et frappait dans la porte de sa cellule, qu'il a finalement inondée. Les gardiens sont entrés et s'y sont pris à trois pour l'immobiliser, notamment en plaçant un genou contre sa mâchoire et en appliquant des points de pression derrière son oreille et sur ses côtes. M. Saint-Aubin a cessé de respirer et n'a pu être ranimé.

Le cas de Justin-Scott Saint-Aubin «n'aurait jamais dû être judiciarisé», estime Me Ménard, qui réclame 445 000 $ au nom des parents, de la tante et des deux demi-frères et des trois cousines de Saint-Aubin.

Selon le texte de la poursuite, le personnel du Centre de détention de Rivière-des-Prairies «n'avait pas le personnel qualifié approprié» pour accueillir une personne ayant des troubles de santé mentale comme ceux de M. Saint-Aubin. Quant à l'Institut Pinel, il aurait manqué à son obligation légale de lui trouver un lit.

L'affaire démontre encore une fois l'incapacité du système carcéral à prendre en charge des patients psychiatriques, estime Me Ménard. «La pauvreté des soins en milieu carcéral, c'est abominable», lance-t-il. Plus inquiétant encore pour ce spécialiste des causes en responsabilité médicale, c'est la première fois que l'Institut Pinel est incapable de répondre à une situation d'urgence, avec les conséquences funestes que l'on sait. «La loi est très claire. Quand il y a une urgence, ça oblige les hôpitaux à agir tout de suite, peu importe les ressources», explique Me Ménard.

Dans son rapport sur la mort de Justin-Scott Saint-Aubin, le coroner Paul G. Dionne en arrivait à des conclusions similaires. Au-delà des «belles promesses» des discussions sur «les problématiques», le système carcéral «avance à pas de tortue», déplorait-il. La prison de Rivière-des-Prairies «a continué à éprouver plusieurs problèmes avec la psychiatrie et très peu s'est fait pour améliorer la situation», a constaté le coroner.

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