Une perte pour le terroir québécois - La production de l'agneau de pré-salé de l'île Verte est abandonnée

Les terroirs du Québec sont en deuil. L'agneau de pré-salé de l'île Verte, dans le Bas-du-Fleuve, un produit réputé et prisé par les grands chefs de la province, va briller par son absence sur les nappes blanches en 2008.

En effet, faute de rentabilité, la production de cette viande unique a été définitivement abandonnée, a appris Le Devoir. Cette disparition est vécue comme un drame par plusieurs acteurs de la gastronomie québécoise à l'heure où le Québec peine à faire émerger des produits du terroir pour lutter contre l'uniformisation de l'alimentation.

«Nous avons fermé les livres, mais avec un pincement au coeur», a indiqué hier Gilles Shooner, vice-président de Mer Bergère, l'entreprise qui, depuis dix ans, encadrait cette petite production d'agneaux, un des rares produits agricoles qui auraient pu revendiquer une indication géographique protégée (IGP), sorte d'appellation d'origine contrôlée (AOC), que le Québec s'est donnée pour valoriser ses terroirs. Mer Bergère a donc dû fermer ses portes.

«Nous ne pouvions pas continuer, a ajouté M. Shooner. La production avait un problème de rentabilité lié à son caractère insulaire. Il était par exemple difficile de trouver de la main-d'oeuvre sur l'île pour s'occuper des agneaux. Or, sans employés permanents ni stabilité, ce type de production ne peut pas survivre.»

Un produit unique

Inspirée des méthodes d'élevage d'agneaux de la baie du Mont-Saint-Michel, en France, la production d'agneaux de pré-salé a établi sa réputation sur un caractère unique: pendant la saison estivale, les bêtes étaient amenées à paître pendant 60 jours sur les terres de cette île baignant dans le Saint-Laurent, terres naturellement salées par le vent du large.

Résultat? Cet agneau offrait une chair non pas salée, comme le veut la croyance populaire, mais très tendre, que s'arrachaient les chefs cuisiniers de la province et les touristes passant par là. Toutefois minuscule, cette production composée de 250 moutons donnait bon an mal an une soixantaine d'agneaux seulement.

«C'est un peu triste de voir disparaître une production comme celle-là», a commenté Jean Soulard, chef du restaurant du château Frontenac, à Québec. «Cet agneau était cher, certes, nous le vendions aussi à perte, mais comme c'était un produit unique de chez nous, nous en avons fait la promotion en espérant que cette bonne idée se propagerait. Mais, visiblement, ça n'a pas suffi.»

À la municipalité de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs de l'île Verte, l'annonce du départ des agneaux de pré-salé a également été reçue avec tristesse. «Ç'a donné une très bonne visibilité à l'Île, a souligné le directeur général Denis Cusson. C'est dommage de voir cette entreprise fermer ses portes.»

M. Cusson a précisé que l'agneau ordinaire va continuer à être élevé sur l'île. Il espère toutefois que l'agneau de pré-salé renaîtra de ses cendres au cours des prochaines années, une chose qui n'est pas impossible: Charles Méthé, un des propriétaires de Mer Bergère, a en effet conservé les droits d'utilisation du nom de l'entreprise dans cette éventualité. Mais aucun projet de relance n'est sur les tables à dessin pour cette année, a-t-il indiqué.

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