Le don de sang, un droit civique toujours nié aux gais
La mesure qui interdit à tous les hommes ayant eu ne serait-ce qu'une seule relation homosexuelle depuis 1977 de faire don de leur sang au Canada est discriminatoire, clament sur toutes les tribunes deux grands spécialistes montréalais du VIH. Hier en conférence de presse et au cours des dernières semaines dans les journaux, ils ont rappelé qu'Héma-Québec et l'Agence canadienne du sang disposent désormais d'une technique très perfectionnée qui permet de détecter avec une très grande fiabilité le virus dans les échantillons de sang. D'où l'inutilité de continuer à exclure à vie les homosexuels de sexe masculin, même si ceux-ci vivent une relation stable et fidèle depuis plusieurs années. À Héma-Québec, on réplique que même les méthodes les plus récentes ne sont pas infaillibles, notamment lorsque l'infection est très récente, et que ce risque, si minime soit-il, effraie les receveurs.
Lorsqu'il est apparu évident, au début des années 1980, que des transfusés, dont de nombreux hémophiles, avaient été infectés par le VIH, la Croix-Rouge, alors responsable des dons de sang au Canada, avait décidé de refuser le sang de tous les hommes ayant eu des relations homosexuelles, sachant que ces individus étaient plus nombreux à être porteurs du VIH, a d'abord rappelé le Dr Mark Wainberg, directeur du Centre Sida de l'université McGill et chercheur à l'Hôpital juif de Montréal. «Cette mesure était justifiée il y a 25 ans. Mais depuis une dizaine d'années, elle ne l'est plus. Elle est même discriminatoire, car elle nie un droit civique à des citoyens qui ne représentent aucun danger pour la société», a-t-il affirmé. Le Dr Wainberg et son collègue, le Dr Norbert Gilmore, du Centre universitaire de santé McGill, ont souligné que les fournisseurs de produits sanguins, comme Héma-Québec, soumettent aujourd'hui chaque échantillon de sang à un test de détection 10 000 fois plus sensible que celui utilisé en 1985 au moment de l'adoption de cette mesure d'exclusion. «Cette méthode de détection de l'acide nucléique du virus, appelée "amplification en chaîne par polymérase", ou PCR, permet de déceler des quantités virales extrêmement faibles. Alors pourquoi maintient-on encore cette mesure discriminatoire envers les hommes homosexuels?», a lancé le Dr Wainberg en soulignant que les hétérosexuels qui multiplient les partenaires ne font pas l'objet d'une radiation aussi catégorique puisqu'ils se font imposer une abstention de donner de leur sang pendant seulement un an.Les deux spécialistes souhaitent voir le Canada assouplir sa politique à l'instar de l'Australie, où la restriction imposée aux hommes homosexuels ne s'applique désormais qu'à ceux ayant changé de partenaire au cours des 12 derniers mois. Les dons de sang de ceux vivant une relation stable depuis plus d'un an sont maintenant acceptés.
Le Dr Marc Germain, vice-président aux tissus humains à Héma-Québec, affirme pour sa part que la possibilité d'assouplir le critère d'exclusion concernant les homosexuels est régulièrement réévalué à la lumière des dernières données scientifiques avec un comité d'experts et de receveurs. Mais il souligne que la très grande majorité des pays industrialisés imposent toujours ce critère d'exclusion à vie. «Et comme Héma-Québec n'a jamais connu de pénurie de sang jusqu'à maintenant, nous sommes moins enclins à revoir cette mesure. Les dons de tissus et d'organes sont quant à eux toujours en quantité limitée, on ne peut donc pas se permettre de refuser aussi systématiquement les donneurs plus à risque. C'est pourquoi Santé Canada a adopté la règle de cinq ans d'abstinence de relations homosexuelles pour pouvoir se qualifier comme donneur», a-t-il fait remarquer, soulignant que grâce à la sélection pratiquée par Héma-Québec à l'heure actuelle, à peine un ou deux échantillons s'avèrent positifs pour le VIH parmi les 250 000 dons de sang recueillis chaque année.