Un autre exemple de racisme en prison

Les gestes de racisme et de harcèlement subis par Jean-Ulrick Pavilus dans le système carcéral québécois ne constituent pas un cas isolé. Un autre gardien de prison noir a éprouvé tellement de problèmes avec ses collègues qu'il a démissionné.

Les membres des minorités visibles, les femmes et les anglophones ne sont pas les bienvenus au sein du système correctionnel provincial, affirme Justin Péan en entrevue. «Pour que ça fonctionne bien en prison avec tes collègues, il faut que tu sois un homme blanc francophone», dit cet ex-gardien de la prison de Saint-Jérôme.

Dans un jugement lapidaire, le Tribunal des droits de la personne a ordonné mardi le paiement d'une somme d'environ 60 000 $ à Jean-Ulrick Pavilus et sa réintégration au sein des services correctionnels du Québec. M. Pavilus a fait l'objet d'insultes raciales à répétition de la part de ses collègues, qui ont même poussé l'odieux jusqu'à déposer des plaintes invraisemblables de harcèlement sexuel contre lui. Les directions des établissements de détention de Saint-Jérôme et de Rivière-des-Prairies ont tour à tour invoqué le prétexte de ces plaintes pour mettre M. Pavilus à la porte.

Justin Péan a travaillé quatre ans à la prison de Saint-Jérôme, où il a fait la connaissance de M. Pavilus. M. Péan se sentait isolé en permanence par ses anciens collègues, qu'il a qualifiés de «froids et indifférents» lors de son témoignage en faveur de M. Pavilus. Bien qu'il n'ait jamais fait directement l'objet de remarques racistes, M. Péan a entendu couramment des insultes et des mauvaises blagues sur les Noirs. La direction de la prison «était bien indifférente» à ce climat de travail malsain, a-t-il déclaré en cour. «Parce que tu es noir, tu n'es pas le bienvenu. Tu le sens, tu le vois», explique-t-il au Devoir.

M. Péan a adopté une stratégie de survie durant ses quatre années de travail à la prison de Saint-Jérôme. «Je me suis fait oublier, dit-il. J'étais entre le mur et la peinture.» Il acceptait donc les tâches jugées ingrates, dans les postes de contrôle et l'aile d'isolement (le trou), où il pouvait éviter l'interaction avec ses collègues.

Excédé, M. Péan a quitté son poste, en 2001, pour rejoindre le Service correctionnel du Canada, où le climat de travail est nettement plus serein. Tous les nouveaux agents fédéraux suivent une formation obligatoire de quatre mois, dans laquelle il est question du harcèlement et de la discrimination. «Au provincial, c'est le vide. Il n'y a aucune formation, il y a seulement des séances d'information sur le fonctionnement de la prison», déplore-t-il.

Mutisme à Québec

Selon les informations recueillies par Le Devoir, aucune sanction disciplinaire n'a été imposée à des membres du personnel ou de la direction des prisons de Saint-Jérôme et de Rivière-des-Prairies à la suite de l'affaire Pavilus.

Le ministère provincial de la Sécurité publique s'est enfermé hier dans le mutisme le plus complet à cet égard. «On en est à analyser le jugement, il n'y a pas plus de commentaires», a dit Nathalie Pitre, directrice des communications. Au ministère de la Justice, la direction du contentieux étudie la possibilité d'en appeler du jugement. Aucune décision n'a été prise pour le moment.

L'avocat du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec, Sylvain Lallier, a nié les allégations de harcèlement racial systémique formulées par le Tribunal des droits de la personne. M. Pavilus a vécu «une situation factuelle qui est exceptionnelle», a dit Me Lallier. D'autres agents font partie des minorités visibles, mais aucun ne s'est plaint de racisme au syndicat, a ajouté Me Lallier.

Il est encore trop tôt pour dire si Jean-Ulrick Pavilus acceptera de réintégrer son emploi de gardien de prison. «Ç'a été une partie de sa vie très, très pénible», a dit Maurice Drapeau, l'avocat qui a plaidé sa cause au nom de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. M. Pavilus a connu six années de vaches maigres à la suite de son renvoi. Il a hypothéqué sa maison l'an dernier pour ouvrir un dépanneur qu'il exploite toujours sur l'île de Montréal. Il s'est abstenu de tout commentaire jusqu'ici.

À voir en vidéo