Gardien de prison ostracisé par ses pairs
Une affaire de discrimination et de racisme éclabousse le système carcéral québécois, sévèrement blâmé dans un jugement du Tribunal des droits de la personne qui ordonne la réintégration d'un gardien de prison d'origine haïtienne humilié et ridiculisé par ses collègues en raison de la couleur de sa peau.
Le Tribunal tient le procureur général du Québec pour responsable dans cette affaire sans précédent de «harcèlement racial systémique et de discrimination», en ordonnant le paiement de 25 000 $ en dommages moraux et 5000 $ en dommages punitifs à Jean-Ulrick Pavilus. Une somme d'environ 30 000 $ devra également être versée au plaignant pour les pertes de salaire encourues.Jean-Ulrick Pavilus a connu des conditions de travail exécrables, presque comparables à un peine de prison, lors de son passage aux établissements de détention de Saint-Jérôme et de Rivières-des-Prairies, en 2000 et 2001. Ses collègues l'ont rapidement pris en grippe à Saint-Jérôme après qu'il eut dénoncé l'attitude et les paroles désobligeantes d'une agente à son égard.
Il fut matraqué d'injures: «Hostie de nègre», «Les Noirs ne devraient pas travailler avec nous», lui ont dit ses collègues. Certains d'entre eux mâchaient leur «r» en lui adressant la parole pour le ridiculiser. D'autres brouillaient les ondes ou feignaient de ne pas l'entendre sur l'émetteur-récepteur portatif. Certains sont même allés jusqu'à orner son bureau d'une photo de singe.
Deux mois après son embauche, en janvier 2001, M. Pavilus n'en pouvait plus. Il s'est adressé à la directrice des services à la clientèle de la prison de Saint-Jérôme, Denise Lefebvre, dans l'espoir d'obtenir un transfert, ce qui lui fut refusé car il était en période de probation.
Les plaintes contre M. Pavilus se sont multipliées, dans certains cas à la demande de Mme Lefebvre. Vers les mois d'avril ou mai 2001, deux plaintes invraisemblables de harcèlement sexuel furent déposées contre M. Pavilus. Dans un cas, M. Pavilus aurait dit d'une collègue que «ses jeans lui faisaient bien», une allusion à ses mensurations généreuses. Dans l'autre, il a rendu visite à domicile à une agente qui lui avait donné son numéro de téléphone et son adresse.
Le directeur de la prison de Saint-Jérôme, Yves Galarneau, y a vu un cas flagrant de harcèlement. L'échange des coordonnées «ne donne pas la permission d'aller rendre visite à quelqu'un çà et là», a-t-il témoigné. Les allégations de harcèlement sexuel furent jugées assez graves pour que M. Galarneau ordonne une évaluation du travail de M. Pavilus, avec comme résultat la perte de son emploi.
En septembre 2001, Jean-Ulrick Pavilus se trouvait un nouveau travail à la prison de Rivières-des-Prairies, où sa mauvaise réputation le précédait. Dix jours après son arrivée, trois collègues l'accusaient de harcèlement sexuel parce qu'il aurait touché les seins d'une agente, Geneviève Girard, dans le cadre d'une formation sur la maîtrise des détenus (Mme Girard jouait le rôle de la prisonnière et M. Pavilus, celui de gardien). Pourtant, Mme Girard ne gardait aucun souvenir de ces attouchements. L'agent responsable de la formation, Marc Lacasse, a finalement concédé en Cour que «l'acte odieux de M. Pavilus était peut-être accidentel». Encore une fois, les gestes furent jugés assez graves pour indiquer la porte à M. Pavilus, après deux semaines de travail.
«C'est l'ensemble du milieu qui a fait esprit de corps contre un membre d'une minorité visible. Au lieu d'intervenir pour sanctionner le comportement discriminatoire et mettre en place des mesures d'intégration, la direction l'a cautionné, en quelque sorte», déplore Maurice Drapeau l'avocat qui a plaidé la cause au nom de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.