Peines minimales - Les juges doivent respecter les législateurs
La Cour suprême a reconnu le bien-fondé des peines minimales, hier, dans une décision aux répercussions politiques importantes qui a pour effet d'encadrer le pouvoir discrétionnaire des juges tout en rétablissant une sentence de quatre ans de pénitencier pour un policier albertain reconnu coupable d'homicide involontaire.
Cette décision envoie un message sans équivoque aux juges du pays: leur pouvoir discrétionnaire n'est pas absolu. Les juges sont tenus de respecter l'intention du législateur lorsque celui-ci a prévu des peines minimales pour certains types de crimes.«Il faut tenir pour acquis que le législateur a expressément choisi de ne pas accorder de pouvoir discrétionnaire aux juges lorsqu'il a décidé de prescrire une peine minimale obligatoire», tranche la juge en chef, Beverley McLachlin, au nom de ses huit collègues.
La cour ne règle pas tout à fait la question des exemptions constitutionnelles, ces instruments qu'utilisent les juges à l'occasion pour contourner l'obligation d'imposer des peines minimales. Mais elle signe presque leur arrêt de mort. «Aucune disposition n'autorise les juges à déroger à la peine minimale obligatoire, même dans les cas exceptionnels où elle entraînerait l'infliction d'une peine exagérément disproportionnée. [...] La loi prescrit un seuil de sévérité minimal de la peine, que les juges ne peuvent pas franchir», poursuit le plus haut tribunal du Canada.
Cet arrêt fort attendu donne indirectement un sérieux coup de pouce au gouvernement de Stephen Harper. Une trentaine d'infractions au Code criminel sont présentement assorties de peines minimales. Le sort de ces dispositions et du récent projet de loi-cadre contre la criminalité des conservateurs pesait donc dans la balance.
Les conservateurs ont en effet rehaussé les peines minimales pour une série d'infractions graves commises au moyen d'une arme à feu dans leur loi-cadre adoptée cette semaine par le Sénat. Dans un autre projet de loi à l'étude aux Communes (C-26), les conservateurs cherchent à introduire une peine minimale de deux ans de prison pour la production et le trafic de marijuana lorsque les infractions sont commises soit par le crime organisé, soit avec des gestes de violence, soit au détriment des mineurs.
Au coeur du litige
L'affaire tranchée hier par la Cour suprême implique Michael Ferguson, un ex-policier de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de l'Alberta. Dans la nuit du 2 au 3 octobre 1999, à Pincher Creek, l'agent Ferguson a abattu Darren Varley de deux coups de feu à l'abdomen et à la tête, alors que la victime se trouvait dans une cellule.
Le policier a fourni des versions contradictoires des événements. Lors de son procès, Ferguson a déclaré que Varley s'était rué sur lui et qu'il avait saisi son pistolet. Il luttait encore avec le prévenu pour récupérer l'arme lorsque les coups de feu sont partis. Un jury a reconnu le policier coupable d'homicide involontaire. Dans une déclaration postérieure, Ferguson a affirmé qu'il avait repris la maîtrise de son arme lorsqu'il a tiré les deux coups de feu.
Dans les cas d'homicide involontaire au moyen d'une arme à feu, la peine minimale est de quatre ans de pénitencier. Le juge du procès, Ged Hawco, a cependant accordé une exemption constitutionnelle à l'agent Ferguson et l'a condamné à une peine de deux ans à purger dans la collectivité (une décision renversée en Cour d'appel).
Le juge Hawco est allé beaucoup trop loin dans sa décision, en formulant des hypothèses qui allaient à l'encontre de la preuve pour atténuer la culpabilité de Ferguson, affirme la Cour suprême. Le juge albertain a estimé que l'agent Ferguson avait tiré le premier coup de feu en légitime défense et le second, de façon instinctive et quasi automatique en raison de son entraînement de policier. Dans son raisonnement erroné, le juge a donc considéré que Ferguson n'était pas en colère et qu'il n'avait pas pris de décision consciente en logeant une balle dans la tête de Varley. C'est pourquoi il lui a accordé une exemption constitutionnelle et une peine avec sursis.
La décision ne change rien au statut de Ferguson, qui est aujourd'hui en liberté conditionnelle. Au moment de rétablir sa sentence de quatre ans de pénitencier, en 2006, la Cour d'appel de l'Alberta a retranché les deux années qu'il avait passées dans la collectivité. L'ancien policier a séjourné un grand total de deux mois en prison.