James Gabriel revient à la charge
Quatre ans après la crise l'ayant chassé du pouvoir, l'ex-grand chef James Gabriel n'en démord pas. Kanesatake est un no man's land semblable aux zones tribales entre le Pakistan et l'Afghanistan, sur lequel le crime organisé autochtone exerce une mainmise absolue.
«Le commerce le plus florissant, c'est le trafic de la marijuana et des produits du tabac. [...] Ça n'a pas changé depuis que jai quitté le territoire», a dit hier en conférence de presse l'ex-grand chef de Kanesatake, contraint à l'exil, en 2004, à la suite de l'incendie de sa maison. Dans ce climat de désordre, d'intimidation et de harcèlement continu, aucune loi n'est respectée, affirme James Gabriel dans Les Dessous de Kanesatake, publié aux Éditions Les Intouchables.M. Gabriel a fait son deuil de ses terres ancestrales. Il se rend parfois à Kanesatake pour rendre visite aux membres de sa famille, mais il ne s'y sent pas assez en sécurité pour retourner y vivre avec sa femme et ses enfants. Il a élu domicile en Ontario, où il travaille dans le secteur du service à la clientèle. James Gabriel n'a pas renoncé à ses ambitions politiques pour autant, et il songe même à faire le saut sur la scène fédérale. Avis aux intéressés: l'homme qui se décrit comme le Elliott Ness du monde autochtone (en référence à celui qui a fait tomber Al Capone dans les années 30) est disponible. «Je n'ai pas encore été approché», dit-il sans plus de précisions.
Un nuage noir plane cependant au-dessus de M. Gabriel. Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Stockwell Day, a ordonné une vérification juricomptable au sujet des 34 millions de dollars dépensés pour assurer la sécurité de Kanesatake sous son leadership. L'enquête de la firme Navigant porte à la fois sur la gestion de la police mohawk de Kanesatake et sur les dépenses engagées par le fédéral entre avril 2003 et mars 2005. Le rapport final est attendu en août. Le ministre Day a aussi référé le dossier à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour fins d'enquête.
Avec l'assentiment et l'aide financière d'Ottawa, James Gabriel a orchestré une vaste opération pour chasser le crime organisé de Kanesatake, en janvier 2004. Le plan a connu un retentissant échec: une soixantaine de policiers autochtones ont été séquestrés pendant 36 heures à l'intérieur du poste de police et des émeutiers ont mis le feu à la maison du grand chef, devenu persona non grata dans sa propre communauté.
Un rapport préliminaire a révélé que des fonds publics ont servi à payer un salaire de près de 200 000 $ à l'ancien chef de police Terry Isaac pour 11 mois de travail. Celui-ci a d'ailleurs pu racheter pour 1000 $ trois voitures valant 45 000 $ au total. De nombreuses armes acquises pour cette opération bâclée étaient également introuvables.
M. Gabriel a indiqué en conférence de presse que les opérations de la police mohawk ont coûté entre sept et huit millions de dollars en 18 mois; le reste des 34 millions aurait été dépensé par la Sûreté du Québec pour patrouiller le territoire, dit-il.
James Gabriel ne traite guère de ces allégations sérieuses dans Les Dessous de Kanesatake, un livre rédigé par un certain Marcel Dugas. Il règle cependant ses comptes avec ses nombreux ennemis, accusant notamment l'ex-ministre de la Sécurité publique, Jacques Chagnon, et le premier ministre Jean Charest de non-assistance à des personnes en danger durant la crise de janvier 2004. «Le gouvernement du Québec ne s'y serait pas pris autrement s'il avait tout bonnement voulu livrer la gouverne du territoire aux éléments criminels qui s'y trouvaient», dit-il à l'auteur.