Une bataille juridique s'engage pour contrer Rabaska
Une fois le projet Rabaska autorisé par décret, ce qui devrait survenir d'ici la fin du mois si on se fie aux préparatifs en cours à Québec, il devra passer un dernier test juridique, qui débutera vendredi devant la Cour supérieure lorsqu'un juge déterminera la date des premières audiences d'une cause qui sera certainement très suivie.
En effet, le tribunal entendra les parties dans un litige qui opposera Ville de Lévis, favorable au projet, à la petite municipalité de Beaumont, 2000 habitants, qui tient le rôle de village gaulois, déterminé certes, mais sans la potion magique d'une entente financière couvrant ses dépenses, comme sa voisine et adversaire en a signée une avec Rabaska.Beaumont entend faire appliquer sa réglementation, laquelle a obligé le promoteur à repousser vers Lévis son projet initial. Par ce règlement adopté en décembre 2005, Beaumont a interdit l'entreposage de toute matière dangereuse — combustible, explosive ou toxique— sur son territoire. En outre, ce règlement, se fondant sur une disposition législative en vigueur au moment de son adoption mais aujourd'hui disparue, prévoit que l'interdiction d'entreposage vaut jusqu'à un kilomètre à l'intérieur du territoire de sa voisine.
Or, pour être valide, le décret gouvernemental autorisant un projet comme celui de Rabaska doit être précédé d'une attestation de conformité à la réglementation municipale. Cette exigence figure dans l'article 8 du règlement d'application de la Loi sur la qualité de l'environnement.
Lévis, l'alliée de Rabaska, a répliqué au règlement de Beaumont en adoptant un règlement visant la même zone, qui y autorise l'entreposage de matières dangereuses. Il appartient désormais à la Cour supérieure de décider si le règlement de Beaumont est valide et a préséance sur celui de Lévis. Si tel est le cas, Beaumont pourrait faire invalider le décret d'autorisation que Québec s'apprête visiblement à adopter, expliquait hier le porte-parole de cette municipalité, Pierre-Paul Sénéchal.
D'autre part, le président de Nature-Québec, Me Michel Bélanger, a publiquement dénoncé hier la stratégie gouvernementale consistant à mettre systématiquement de côté les mécanismes juridiques qui nuisent à ses intérêts et à ses politiques.
Reprochant à Québec d'avoir retiré le dossier Rabaska à la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ), Me Bélanger a rappelé que Québec a fait de même en contournant la Loi sur les parcs dans le dossier d'Orford et utilisé une autre loi spéciale pour annuler les retombées de la victoire juridique des riverains des pistes de motoneiges.
Que Rabaska ait conclu une entente avec les agriculteurs locaux, ajoute Me Bélanger, «ne devrait jamais servir de justification à un corps public pour abdiquer ses devoirs ou pour s'immiscer dans un processus d'autorisation administrative destiné précisément à protéger les intérêts collectifs», écrit-il dans une lettre ouverte. Par ailleurs, ajoute-t-il, le gouvernement ne peut invoquer le fait que le BAPE se soit prononcé en faveur du projet pour se substituer aux institutions spécialisées qui doivent assumer des mandats précis en toute indépendance.
Me Bélanger s'étonne enfin que le dossier soit retiré à la CPTAQ deux jours après que le gouvernement Charest a dévoilé sa stratégie en matière de développement durable, laquelle propose de protéger «l'intégrité des paysages et du potentiel agricole» des régions.