Ozone: comment partager la facture ?

Les négociations sur le retrait accéléré des substances appauvrissant la couche d'ozone (SACO) se concentrent sur le partage de la facture que les pays en développement refusent d'absorber en raison du changement des règles du jeu que leur impose ce projet de la communauté internationale.

Des spécialistes consultés hier sous le sceau de l'anonymat estiment autour de 150 millions par année la facture qui pourrait résulter du devancement de l'élimination des SACO par la communauté internationale. Cela n'augmenterait pas nécessairement les contributions actuelles des différents pays, du moins pas substantiellement. Mais cela pourrait signifier que la période des contributions au Fonds multilatéral, qui a déboursé quelque deux milliards pour aider les pays en développement à éliminer en partie leurs SACO, pourrait s'étendre jusqu'à six ou dix ans.

Mais comme la facture de cet échéancier constitue le coeur de la négociation en cours, bien malin qui pourrait en ce moment mettre un chiffre précis sur la table, soulignait une source proche des négociations.

Ces négociations, qui n'ont pas le caractère dramatique des pourparlers sur le climat notamment en raison de l'absence musclée des grands groupes écologistes internationaux, ont pris une tournure beaucoup plus concrète hier alors que la présidence de la 19e conférence déposait une proposition détaillée sur le devancement du retrait des HCFC.

Selon cette nouvelle proposition, les pays développés, dits de l'annexe 2 du protocole, devraient réduire de 75 % leur production de HCFC d'ici 2010, soit dans moins de trois ans, ce qui est possible en raison de véritables solutions alternatives sur le marché. Ils devraient avoir éliminé 95 % des HCFC d'ici 2015, et avoir cessé complètement de les produire d'ici 2020.

Quant aux pays en développement, qui devaient initialement avoir éliminé leurs HCFC pour 2040, ils devraient avoir réduit dans une proportion de 10 % leur production d'ici 2015, de 35 % d'ici 2020 et de 65 % d'ici 2025 afin d'atteindre l'objectif final en 2030, soit dix ans plus tôt que ne le prévoit l'échéancier actuel.

Les HCFC (hydrochlorofluorocarbones) sont des molécules moins dommageables pour la couche d'ozone, qui ont été conçues en tant que substituts temporaires aux CFC (chlorofluorocarbones), les plus dommageables pour la couche d'ozone et les premières sur la liste d'élimination du protocole de Montréal.

La communauté internationale songe à éliminer aujourd'hui les HCFC pour deux raisons. D'abord parce qu'ils sont eux aussi nocifs pour la couche d'ozone, même s'ils le sont moins. Et parce qu'ils sont à la fois de puissants gaz à effet de serre, qui ajoutent au réchauffement du climat. Un sous-produit de la fabrication du HCFC-22, le HFC-23 (hydrofluorocarbone), est un gaz à effet de serre 14 310 fois plus puissant, molécule pour molécule, que le dioxyde de carbone ou gaz carbonique (CO2). On utilise encore des HFC-23 pour remplacer des halons, une autre SACO de grande puissance, dans les extincteurs chimiques notamment.

Le devancement du calendrier international de retrait des HCFC réduirait d'environ 3,5 % les émissions humaines globales de gaz à effet de serre. Les stratégies de réduction des autres SACO dans le cadre du protocole pourraient minimalement doubler ce pourcentage, selon le récent rapport du Panel sur l'évaluation technologique et économique. Mais cette élimination est plus complexe parce qu'elle vise plusieurs activités et produits pour lesquels on ne connaît aucun substitut.

Les pays occidentaux, États-Unis et Europe en tête, pensent qu'il est plus facile de cibler d'abord les HCFC que l'ensemble des autres SACO pour des résultats rapides à la fois pour la couche d'ozone et le climat. Mais les pays en développement, qui ont construit des usines et modifié l'ensemble de leurs systèmes de réfrigération et de climatisation pour passer aux HCFC autorisés par le protocole d'ici 2040, n'apprécient pas de devoir absorber le coût de cet important changement aux règles du jeu.

Les deux pays les plus touchés sont la Chine et l'Inde, mais pour des raisons diverses.

La Chine a pour sa part misé sur les HCFC pour standardiser la transformation de son parc de production du froid, frigos et climatiseurs fixes et mobiles. La Chine n'écarte pas d'emblée la demande des pays occidentaux qui veulent qu'elle passe aux HFC ou aux PFC, des molécules moins nocives pour la couche d'ozone qui ne sont tout de même pas sans effet pour le climat. Elle pourrait aussi recourir à des gaz alternatifs comme l'ammoniac, le propane et même le dioxyde de carbone! Mais si elle doit le faire, et plus rapidement que prévu, la Chine veut qu'on la seconde dans cette transition.

La Chine a devancé la fermeture cet été de cinq de ses six usines de CFC pour passer plus rapidement aux HCFC, conformément aux stipulations du protocole.

L'ONU estime qu'elle produisait en 2002 quelque 117 600 tonnes de HCFC, soit environ le quart de la production mondiale, évaluée autour de 490 000 tonnes, et plus de la moitié de la production des pays en développement (217 000 tonnes). Mais en raison de son programme massif de transfert aux HCFC, la Chine devrait en 2015 produire 298 000 tonnes de HCFC par année sur une production mondiale évaluée à 551 000 tonnes.

Le problème de l'Inde est différent. Ce pays produit lui aussi des HCFC. Mais il a décidé de passer pour une part substantielle de sa production de froid et de mousses isolantes à des molécules moins nocives comme les HFC, PFC et autres substances alternatives moins dommageables mais plus coûteuses.

L'Inde plaide qu'il n'est pas juste de devoir payer un prix plus élevé pour passer à la troisième génération de molécules (HFC, PFC et autres) alors que la communauté internationale est prête à dédommager la Chine pour qu'elle fasse cet autre bond en avant. L'Inde demande donc sa part pour cette participation aux deux grands fronts environnementaux planétaires.

Le dossier se complique en raison d'un effet pervers du Mécanisme de développement propre (MDP). Le MDP a été créé dans le cadre du protocole de Kyoto. Il approuve les projets de réduction de gaz à effet de serre (GES) à être réalisés dans des pays en développement par des pays développés, qui veulent ainsi atteindre les objectifs de Kyoto en obtenant des crédits d'émissions à moindre coût.

Le hic, c'est que des industriels chinois auraient commencé à ouvrir des usines de HCFC pour pouvoir toucher les crédits d'émissions de GES associés à l'élimination des HFC-23 ou des HCFC-22. Dans certains cas, la valeur de ces crédits dépasserait substantiellement la valeur de la vente des HCFC-22 ou des HFC-23. Les spécialistes prévoient même un transfert de certaines unités de production occidentales vers la Chine ou l'Inde pour pouvoir vendre à fort prix le produit de leur fermeture!

Cette faille de la réglementation du MDP a rapidement été colmatée afin que les crédits d'émissions de GES ne soient plus accordés qu'aux usines plus anciennes et non aux nouvelles. Cela a suscité des plaintes de concurrence déloyale chez les producteurs occidentaux parce que le MDP ne reconnaît sous forme de crédits que les SACO détruits dans les pays en développement. Et les propriétaires des nouvelles usines des pays en développement, qui ont encore légalement le droit d'en ouvrir d'ici 2040, se plaignent pour leur part de discrimination par rapport aux plus vieilles usines que le système de crédits de Kyoto favorise.

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