La barrière anti-suicide a prouvé son utilité

La barrière anti-saut du pont Jacques-Cartier s’avère un outil efficace de prévention du suicide.
Photo: La barrière anti-saut du pont Jacques-Cartier s’avère un outil efficace de prévention du suicide.

L'installation d'une barrière anti-saut sur le pont Jacques-Cartier en 2004 a réussi à ralentir grandement le nombre de suicides enregistrés à cet endroit. En trois ans, 10 suicides ont été recensés, alors qu'il s'agissait auparavant de la moyenne annuelle.

Les chiffres compilés pour Le Devoir par le Bureau du coroner à l'approche de la Journée mondiale de la prévention du suicide — qui se déroule aujourd'hui — montrent ainsi qu'entre 1995 et 2003, on enregistrait officiellement entre 10 et 11 suicides chaque année sur le pont Jacques-Cartier.

Or, depuis l'installation durant l'été 2004 d'une clôture de métal (1,10 m) recourbée au-dessus du parapet (1,40 m) protégeant les piétons du vide, il y a eu quatre suicides en 2004, trois en 2005, puis trois en 2006. C'est-à-dire essentiellement trois fois moins.

Les tentatives de suicide recensées sont aussi à la baisse. Selon la Société des ponts fédéraux (SPF), il y a eu 44, 47 et 65 tentatives entre 2002 et 2004, contre 13 et 12 depuis l'installation de la barrière. Pour 2007, les statistiques indiquent à ce jour 11 tentatives et un suicide.

Pour différentes raisons de proximité avec le centre-ville et de facilité d'accès, le pont Jacques-Cartier est le plus meurtrier des ponts de Montréal. Entre 1986 et 2001, les statistiques montrent que 80 % des 179 personnes qui sont mortes en se jetant d'un pont à Montréal l'ont fait à partir de Jacques-Cartier. Il n'y a que le Golden Gate de San Francisco où on recensait plus de suicides de ce type dans le monde.

En 2002, à la demande du coroner Paul Dionne, un groupe de travail avait été mis sur pied pour étudier cette problématique. Il avait conclu que l'installation d'une barrière anti-suicide aurait un impact positif pour prévenir les suicides.

Réticente, la Société des ponts fédéraux avait d'abord repoussé les recommandations de ce rapport, estimant qu'il n'y avait pas de consensus scientifique sur cette question. On désirait aussi donner une chance au système de caméras de surveillance, qui venait d'être amélioré, avant d'installer une clôture dont la SPF estimait à l'époque les coûts à 13 millions (il en a coûté 1,4 million).

La société qui gère les ponts de Montréal s'est finalement laissé convaincre de poser une barrière au début 2004. Mais aujourd'hui comme à l'époque, on se demandait si cette mesure n'allait pas simplement déplacer le problème ailleurs. «Le suicide est une problématique très complexe, qui ne se règle pas seulement qu'avec des barrières», rappelle le porte-parole André Girard.

Brian Mishara, directeur du Centre de recherche et d'intervention sur le suicide et l'euthanasie (CRISE) de l'UQAM, estime toutefois que cette crainte est non fondée. «L'ensemble des recherches effectuées à travers le monde ont montré clairement qu'il n'y a aucune indication de déplacement vers d'autres moyens quand des barrières sont installées sur des ponts. Il n'y a aucune raison de croire que la situation est différente à Montréal qu'ailleurs dans le monde.»

Les indicateurs lui donnent raison. Ainsi, le Bureau du coroner observe qu'il n'y a pas eu de hausse du nombre de suicides sur les autres ponts de Montréal en 2005 et 2006. Et plus largement, la prévalence du suicide diminue au Québec.

Des chiffres fournis par l'Institut national de santé publique du Québec montrent en effet une tendance à la baisse depuis près de cinq ans. Alors qu'en 1999, on dénombrait 22,2 suicides par tranche de 100 000 personnes, les années 2003, 2004 (la moins meurtrière depuis 1991) et 2005 montrent des taux d'environ 16 décès par tranche de 100 000 personnes.

L'installation de la clôture anti-saut du pont Jacques-Cartier ne saurait bien sûr expliquer à elle seule une amélioration générale de la situation au Québec. Mais elle joue un rôle important, dit M. Mishara. «Le suicide survient toujours en période de crise. C'est un état temporaire où le risque est très élevé. Si on empêche quelqu'un de se suicider durant cette période, la personne va en général réussir à trouver de l'aide ensuite. La restriction aux accès n'est pas l'unique solution aux problèmes, mais ça fait partie de la solution.»

Selon Louis Lemay, directeur général de l'Association québécoise pour la prévention du suicide (AQPS), il est indiscutable que la clôture joue un rôle positif dans la prévention. «C'est difficile de dire exactement combien de suicides ont pu être évités par la clôture. Mais on sait que ce qui fonctionne pour réduire le nombre de suicides, c'est un ensemble de stratégies. Et la barrière anti-suicide en fait partie.»

Et même s'il n'est pas totalement convaincu des avantages de la clôture anti-saut, André Girard reconnaît lui aussi que son installation a eu des effets positifs. «C'est clair qu'il y a eu une amélioration. Avec le système de caméras, la proximité du poste de police [ce qui permet une intervention très rapide dès qu'on aperçoit quelqu'un qui présente un comportement suspect] et les améliorations qu'on apporte à la clôture depuis trois ans selon les incidents qui surviennent, on fait le maximum pour éviter autant que possible que ça se produise.»

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