Délinquants en probation - La Cour suprême juge illégale la prise d'échantillons
Un tribunal peut ordonner à un délinquant de ne pas consommer d'alcool ou de drogue dans le cadre d'une peine de probation, mais il ne peut pas forcer le condamné à fournir des échantillons de substances corporelles (salive, ADN, etc.) pour s'assurer qu'il respecte les conditions de sa remise en liberté.
C'est la conclusion à laquelle en est arrivée la Cour suprême hier dans une décision unanime en faveur de Harjit Singh Shoker. Ce citoyen d'Abbotsford, en Colombie-Britannique, s'était glissé dans le lit d'une pure inconnue au cours de la nuit du 7 septembre 2003. Arrêté sur les lieux du crime, il a été reconnu coupable d'introduction par effraction dans une résidence avec l'intention de commettre une agression sexuelle.Lors de son procès, M. Singh a mis sur le compte de la consommation de drogue son comportement pour le moins erratique. Le juge de première instance l'a condamné à une peine de 20 mois de prison, suivie d'une probation de deux ans. À la demande d'un agent de probation, il a ordonné à M. Singh de se soumettre à des analyses de sang, d'urine et d'haleine qui permettraient de s'assurer qu'il respecte les conditions de sa remise en liberté.
Une question fondamentale
Cette cause se résume à une question fondamentale: un tribunal peut-il investir un agent de probation d'un pouvoir de supervision du délinquant si étendu qu'il pourrait exiger des échantillons de substances corporelles? En répondant par la négative, les sept juges envoient un message sans équivoque au Parlement. Si l'État veut forcer les délinquants en probation à se soumettre à de tels prélèvements, il devra adopter une nouvelle loi pour encadrer cette pratique.
«Le législateur n'a prescrit aucun régime de prélèvement d'échantillons de substances corporelles [...] et il n'appartient pas à un tribunal d'édicter un tel régime», écrit la juge Louise Charron au nom de quatre de ses collègues, soit Beverley McLachlin, Ian Binnie, Morris Fish et Rosalie Abella.
Deux autres juges, Louis LeBel et Michel Bastarache, en arrivent au même résultat par un raisonnement différent. En l'absence d'une loi claire, les prélèvements d'échantillons de sang et les tests de dépistage de drogue réalisés au hasard, à la discrétion d'un agent de probation, «risqueraient de devenir très arbitraires», craignent-ils.
La Couronne a prétendu en Cour suprême que les prélèvements constituaient un moyen efficace de s'assurer qu'un criminel respecte les termes de sa probation, ce qui permet du coup d'atteindre le double objectif visé par la probation, soit la réinsertion sociale du délinquant et la protection du public.
Les sept juges n'en doutent pas un seul instant. Par contre, si l'État avait voulu autoriser le prélèvement d'échantillons corporels, il l'aurait précisé dans la loi, comme c'est le cas d'autres dispositions du Code criminel. Le plus haut tribunal du pays cite en exemple le prélèvement d'échantillons d'ADN pour la base nationale de données génétiques, une pratique qui ne vise que les criminels condamnés pour certains types de crimes graves.
Avec l'arrêt Singh, la Cour suprême réitère que les prélèvements de substances corporelles doivent être assujettis «à des normes et à des garanties rigoureuses» pour éviter de brimer le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
La Cour suprême souligne enfin que l'État dispose d'autres moyens pour s'assurer que les délinquants respectent les conditions de remise en liberté. La violation d'une ordonnance de probation constitue une infraction au Code criminel. Une preuve peut être recueillie, notamment au moyen de témoignages, et de nouvelles accusations peuvent être déposées contre tout individu ne respectant pas les termes de sa probation.