Médias - La Cour suprême penche en faveur des pigistes

Les éditeurs de journaux et de magazines doivent obtenir la permission de leurs pigistes avant de reproduire leurs textes dans des bases de données électroniques, a tranché hier la Cour suprême du Canada dans une décision partagée à cinq contre quatre.

L'affaire opposant la journaliste pigiste Heather Robertson au Globe and Mail touche au coeur de la Loi sur le droit d'auteur, qui subit le choc du progrès technologique. Dans ce régime de droits superposés, les pigistes qui rédigent des articles pour les journaux ou magazines conservent leur droit d'auteur sur leurs oeuvres, tandis que l'éditeur du journal acquiert un droit d'auteur sur le journal. L'éditeur est donc autorisé à reproduire la totalité ou une partie importante d'un journal. Mais peut-il verser les oeuvres dans des bases de données en ligne, comme l'a fait le Globe avec deux textes de Mme Robertson? Non, estime la Cour suprême.

Selon les cinq juges majoritaires, le quotidien torontois a fabriqué «un produit différent» en agissant de la sorte. «Le droit de reproduire un recueil [...] n'emporte pas celui de publier à nouveau, dans un recueil totalement différent, les articles rédigés par les pigistes», affirment les cinq juges. Avant d'agir de la sorte, les éditeurs doivent s'entendre avec les auteurs.

En revanche, les éditeurs peuvent reproduire les oeuvres sur cédérom sans le consentement des auteurs. «En offrant essentiellement aux utilisateurs un condensé des éditions quotidiennes du journal, les cédéroms demeurent fidèles à l'essence de l'oeuvre originale», affirment les cinq juges majoritaires.

Leurs collègues minoritaires auraient appliqué le même raisonnement à la reproduction des textes sur les bases de données. Selon eux, cette pratique ne viole pas le droit d'auteur des pigistes. «Les bases de données reproduisent le journal», écrivent-ils. Il s'agit de «l'équivalent électronique d'éditions papier d'un journal empilées sur une tablette».

«De plus, toute différence entre la version papier du journal et sa version figurant dans les bases de données n'est attribuable qu'à la "forme" numérique et, par conséquent, ne diminue en rien le droit de l'éditeur de reproduire son journal dans les bases de données électroniques», ajoutent les juges dissidents.

La décision d'hier ne règle pas pour autant le litige opposant Mme Robertson au Globe and Mail et à son propriétaire, Thomson Corp. La journaliste devra se tourner de nouveau vers les tribunaux pour déterminer si une entente verbale qu'elle avait conclue avec le quotidien, en 1996, couvrait la reproduction électronique de son reportage.

L'affaire risque de faire couler encore beaucoup d'encre. En effet, la cause de Mme Robertson prend la forme d'un recours collectif de quelque 100 millions de dollars intenté par 10 000 pigistes.

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