Quand le party va, tout va

Les Outgames offrent un bon prétexte pour organiser des parties et rappeler que l'industrie de la fête se porte très bien merci à Montréal. Croisière en folie, cirque coquin, jazz torride: tout est possible à condition d'y mettre des moyens et de faire appel aux bons spécialistes de la surboum.

Abattre des préjugés plutôt que des records du monde: voilà l'objectif central des premiers Outgames qui s'ouvrent cette semaine à Montréal. L'essentiel n'est donc pas de gagner, mais de participer. Et surtout, surtout, de s'amuser.

D'où ces trois fêtes officielles, présentées en surplus des cérémonies de lancement et de clôture: le premier pow-wow, le gala d'ouverture, a eu lieu hier; le deuxième, la fête d'ouverture comme telle, enchaîne dès ce soir au Metropolis; le dernier «événement festif grandiose» ferme les jeux le samedi 5 août, au Palais des congrès. Des milliers de transfêtards pourront y danser toute la nuit, jusqu'au lendemain midi.

Encore fallait-il trouver la bonne équipe pour s'occuper de la triple trempette festive. Les organisateurs des Outgames ont naturellement fait appel au Bad Boy Club de Montréal (BBCM), déjà éprouvé par les célèbres délires Black & Blue, qui attirent jusqu'à 15 000 participants chaque fois.

«Pour nous, un party, c'est plus qu'une simple fête et c'est presque un art de la scène», explique Caroline Rousse, directrice des relations externes de la Fondation BBCM, qui remet quelques dizaines de milliers de dollars à des organismes communautaires gais chaque année, notamment pour aider les sidéens et leurs proches. «Nous concevons une expérience totale, des décors uniques, des costumes particuliers, de la musique adaptée. Même le site Internet fait partie de la proposition.»

Pas besoin d'assister à la Gay Pride demain pour savoir que les homos et les travelos ont le sens de la fête. Mais il faut plus qu'un plat de guacamole et un iPod pour organiser une bamboula. Il faut du goût (ou ce qui en tient lieu) et des moyens, les seconds permettant habituellement de s'offrir le premier. Pour le gala et les deux mégaparties, BBCM propose trois thèmes enchaînés («Mind», «Body» et «Soul») et trois couleurs de référence (bronze, argent et or). Le... mec trio va coûter 500 000 $, dont les quatre cinquièmes seront dépensés pour la seule grande finale orchestrée par Denis Brossard, Monsieur Bal en blanc, autre mégasurboum de Montréal.

L'économie joyeuse

L'industrie des «événements spéciaux» se porte aussi bien que l'économie. Quand le party va, tout va.

La revue Fortune révélait récemment que les grandes entreprises américaines, dopées aux profits, dépensent en moyenne 1000 $ par personne pour leurs grandes célébrations annuelles, ostentatoires à souhait, l'épargne d'échelle permettant habituellement de s'en tirer avec une facture de 100 000 $ pour 150 invités.

«La moyenne montréalaise n'a rien à voir avec ces chiffres, dit Marie-Annick Boisvert, fondatrice de la compagnie Marianik. Elle confie que ses budgets dépassent rarement le seuil des 250 $ par personne. «Les petits budgets, ou relativement petits, rendent plus créatifs, dit-elle. Trop d'argent encourage la paresse.»

Sa compagnie offre des services clés en main, incluant le traiteur, la location de salle, l'animation, la musique, jusqu'aux services d'accueil et de sécurité. Fondée en 2000, elle compte déjà quelques gros clients dans sa besace, dont Ubisoft et Jet Film. Beaucoup de contrats se concentrent autour de la fin d'année, quand les entreprises célèbrent leur bon rendement. «Une bonne fête peut relancer les employés pour des mois», assure Mme Boisvert.

Ce n'est pas Michael Caplan, fondateur de la compagnie Sensix, qui va la contredire. Il s'active dans le secteur depuis 1979, après avoir lancé un service de disc-jockey volant (Good Vibration) pour payer ses études en psychologie. Son premier contrat lui a rapporté 45 $. Le fêtard devenu fêtologue trône maintenant au sommet du secteur du divertissement montréalais. Sensix offre du sur-mesure pour «éduquer, motiver et inspirer», avec une équipe de spécialistes comprenant des infographistes et des metteurs en scène, mais aussi des chorégraphes et des traducteurs. Sa liste de clients comprend Air Canada, Merck Frosst, Microsoft et la Banque Royale. Sa banque de services prévoie des soirées sur des thèmes plus ou moins coquins, comme «atteindre le sommet», «club Med», «Le Fantôme de l'opéra» ou «Jazz torride».

Sensix réalise quatre contrats sur cinq à Montréal. L'entreprise s'active aussi à Toronto et un peu ailleurs sur le continent. «Il est toujours plus facile et plus efficace d'offrir des services de proximité, dit M. Caplan. Il détaille les dernières tendances dans ce milieu tape-à-l'oeil. «Nos clients veulent de plus en plus des événements relaxes, le plus lounge possible. La nourriture, même la plus exotique, doit se servir sur des plateaux, en petites bouchées. L'idée, c'est de laisser les gens libres de leurs choix et de leurs mouvements.»

Les possibilités semblent infinies. Une autre tendance propose de louer un yacht et d'y trimbaler des privilégiés et leur famille. Les salles muséales ont toujours la cote. Le Musée des beaux-arts offre de petites salles pour quelques dizaines de personnes et de grands espaces pouvant en accueillir plusieurs centaines. Il est aussi possible d'organiser des cocktails dînatoires dans un loft du Vieux-Montréal ou dans un des nouveaux hôtels design de la métropole, avec en prime des animations coquines ou exotiques, toujours spectaculaires. «Les danseurs sont très demandés, note Michael Caplan. Par contre, les numéros de cirque semblent un peu en train de passer de mode parce qu'ils ont été surexploités depuis dix ans, surtout à Montréal.»

La piste s'amuse

Ne pariez pas vos bobettes moulantes là-dessus. Les cirqueux continuent d'être abonnés à la présentation de numéros spécialement formatés pour les fêtes d'entreprise et les événements festifs en tous genres. Dans leur jargon professionnel, ils parlent de «corpos» (comme dans «activités corporatives»). Les plus intéressantes rapportent des centaines de dollars aux saltimbanques et de jolis petits magots aux compagnies, et ce, en une seule soirée beaucoup moins stressante qu'une représentation devant une salle bourrée de préposés au sens.

Le Cirque du Soleil a récemment développé un service spécialisé dans l'organisation de ces «événements spéciaux», histoire de répondre aux innombrables demandes qui lui parviennent de partout dans le monde. Le service de contrôle, heu.. de communications des médias de la compagnie montréalaise a cependant refusé trois demandes d'entrevue à ce sujet au cours des dernières semaines. La multinationale de la piste a même décliné tout commentaire sur sa participation à la cérémonie d'ouverture des Outgames. Pas jojo ni très transparent, ce cirque.

Qu'à cela ne tienne. Des sources internes et anonymes rappellent ironiquement que, depuis des années, le fondateur de la compagnie, Guy Laliberté, s'avère le principal client de ses produits dérivés, pour ses célèbres parties privées annuelles au moment du Grand Prix du Canada, en juin, mais aussi pour d'autres activités ludiques et festives à travers le monde. Des artistes liés aux CDS ont par exemple déjà participé à l'organisation d'une fête à Saint-Tropez pour célébrer le 33e anniversaire de la supermannequin Naomi Campbell, un ancien choix du président. Mieux, M. Laliberté s'est inspiré de ses propres fêtes maison pour mettre au point le spectacle Delirium, qui fait tinter le tiroir-caisse sur le continent depuis janvier. Si la tendance se maintient, Delirium sera le spectacle de tournée le plus profitable de 2006, battant les Rolling Stones comme Madonna sur leur propre terrain.

Par contre, le CDS préfère donner en sous-traitance une partie des fêtes de lancement de ses spectacles. À Montréal comme à Las Vegas, les premières mondiales sont immanquablement suivies de bacchanales thématiques grandioses organisées par des compagnies spécialisées comme Cirko de Bakuza. Celle liée au beattelesque spectacle Love, le mois dernier, a coûté des centaines de milliers de dollars.

Le Cirque Éloize a gagné le jackpot cet hiver en participant à la conception des cérémonies de clôture des Jeux olympiques de Turin, une retombée directe de l'amitié profonde développée depuis des années entre le metteur en scène italo-suisse Daniele Finzi Pasca et la compagnie montréalaise. Éloize a ensuite obtenu le contrat du spectacle de clôture du congrès de l'ACFAS, une réunion annuelle de 5000 savants. «On fait du sur-mesure, à la pièce, en fonction des besoins et des moyens du client», explique Jeannot Painchaud, directeur artistique de la troupe de cirque. Il évalue que la troupe réalise environ deux ou trois contrats hors piste par mois, constituant plus ou moins 10 % de son chiffre d'affaires annuel. À lui seul, celui de l'ACFAS valait 150 000 $. Éloize y a présenté deux numéros, dont un comportant quatre cerceaux. «Nous offrons de petites prestations dans les partys de bureau, poursuit le directeur Painchaud. Nous avons déjà été engagés à Toronto, à New York et à Tokyo. Tout est possible parce que nous avons l'expertise pour nous adapter et toute une banque d'artistes qui ne demandent pas mieux que d'avoir accès à des revenus d'appoint.»

Jeannot Painchaud dit refuser périodiquement des demandes «farfelues». Après la participation de sa compagnie à la cérémonie de clôture de Turin, un bougre inconscient lui a par exemple offert de reprendre une partie du spectacle olympique pour 5000 $. Il s'impose aussi des limites éthiques. «Disons que je n'irais pas animer le congrès du Parti républicain aux États-Unis», résume-t-il. L'important est parfois de ne pas participer...

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