Mariage gai - Un Québec avant-gardiste dans un Canada progressiste

La loi fédérale C-38 jumelée à la loi provinciale 84, soit celle instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, offrent désormais aux futurs parents un cadre porteur et plus serein par rapport à leurs projets de pare
Photo: Agence Reuters La loi fédérale C-38 jumelée à la loi provinciale 84, soit celle instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, offrent désormais aux futurs parents un cadre porteur et plus serein par rapport à leurs projets de pare

Les droits des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres (LGBT) progressent de façon plus notable dans certains pays dont le Canada. Ainsi, souligne Gilles Marchildon, directeur général d'Égale Canada, les conjoints de même sexe bénéficient désormais d'un droit égal au mariage grâce à une loi fédérale. Le mariage constitue dans bien des cas la prémisse d'un projet familial d'envergure où peuvent intervenir des questions de filiation. Or, ces dernières sont de compétence provinciale et font donc l'objet de traitements variables selon les provinces. Le Québec se distingue en la matière, poursuit Danielle Julien, professeure et chercheure au département de psychologie de l'Université du Québec à Montréal, car il tient compte des diverses expressions de l'homoparentalité.

Décembre 2004, un premier pas était franchi grâce à l'avis de la Cour suprême du Canada à l'effet que la définition du mariage est de compétence fédérale. Après des premières victoires provinciales — rappelons que le mariage gai avait été légalisé par exemple en Ontario en juin 2003 et au Québec en mars 2004 —, le champ de bataille s'élargissait. Le nerf de la guerre ne divergeait cependant pas: «Gais et lesbiennes demandaient un traitement identique à celui dont bénéficiaient les hétérosexuels et donc un accès aux mêmes institutions», commente Gilles Marchildon.

Le 28 juin 2005, la Chambre des communes adoptait le projet de loi C-38. Les conjoints ou conjointes de même sexe obtenaient ainsi l'accès au mariage civil après les Pays-Bas, la Belgique, l'Espagne et plus tardivement les États-Unis, tout au moins l'État du Massachusetts. Ce vote historique a été révélateur de l'évolution de la société canadienne, une société qui s'ouvre aux réalités en oeuvre en son sein. Il a rendu également plus tangible la notion d'égalité soutenue par la Charte canadienne des droits et libertés.

Moins d'opposition au mariage gai

En effet, le droit égal au mariage s'établit en gage d'égalité et cultive le respect des différences tout en luttant contre la discrimination. «Le projet de loi qui a été adopté assure à la fois l'égalité de la communauté LGBT et protège la liberté religieuse. Il équilibre ces droits tout en permettant d'instaurer une paix sociale au pays», estime Gilles Marchildon. Aussi, l'engagement électoral des conservateurs à tenir un nouveau vote sur le mariage gai choque nombre de personnes. Lu comme une rétrogression des droits de certains citoyens, la réouverture du débat ne répond pas plus au désir de l'ensemble de la population.

En effet, 62 % des répondants d'un sondage mené par Environnics Research Group en juin 2006 considèrent réglée la question du mariage gai, contre 27 % de personnes favorables à un nouveau vote. Au Québec ce taux grimpe à 68 %. De même, l'opposition au droit égal au mariage régresse de plus en plus. Pour Gilles Marchildon, il ne peut en être autrement car «ce droit ne diminue en rien le mariage hétérosexuel, il renforce au contraire l'institution même du mariage. Plus les gens qui veulent y adhérer sont nombreux, mieux elle se portera.» Nombre d'opposants ont constaté, à la suite des mariages célébrés ces dernières années, que ce droit n'a nui à personne. L'opposition ferme au droit égal au mariage a par conséquent chuté de 46 % à 35 % chez les électeurs conservateurs.

Deux lois pour soutenir les projets familiaux

Quel que soit le sexe des conjoints, le mariage, rite de passage traditionnel, répond à une aussi grande palette d'attentes allant du registre romantique au registre pragmatique. Déclaration publique de son amour, engagement à long terme, désir de reconnaissance sociale, motifs financiers, les raisons de s'unir sont légion. Parmi elles, le désir de fonder une famille n'est pas négligeable. Or, la venue d'un enfant interpelle particulièrement les futurs parents homosexuels. Quel sera leur statut? La loi fédérale C-38 jumelée à la loi provinciale 84, soit celle instituant l'union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, offrent désormais aux futurs parents un cadre porteur et plus serein par rapport à leurs projets de parentalité. «Le droit égal au mariage, explique Danielle Julien, a permis aux couples d'envisager leur avenir de façon plus paisible en ce qui concerne leurs projets familiaux et les nouvelles règles de filiation ont appuyé cet effet de relaxation.»

En effet, par le passé, aucun droit parental légal n'était octroyé au deuxième membre du couple. Or, par exemple dans un couple de lesbiennes, si la décision d'enfanter ne concerne biologiquement que l'une d'entre elles, sa conjointe s'implique généralement corps et âme dans le projet familial. Cette dernière ne disposait toutefois d'aucune considération légale par rapport à son engagement. Toutes sortes de stratégies étaient alors déployées pour pallier l'absence de liens légaux, tel l'établissement de documents notariés. «Ces couples pouvaient envisager, s'il y avait un géniteur connu, que celui-ci ne contribue financièrement en rien à l'éducation de l'enfant tandis que la "co-mère sociale" assumerait les dépenses.» Une certaine dépendance était établie pour assurer le lien parental.

Depuis 2002, la loi a donc suppléé à ce vide. Son objet, indique le ministère de la Justice, tient à «favoriser la biparentalité, quelles que soient les circonstances de naissance d'un enfant.» Ainsi, quand deux femmes mènent à terme un projet parental commun par le biais de la procréation assistée grâce à une banque de sperme, les deux femmes pourront établir un lien de filiation avec l'enfant auprès du directeur de l'état civil. Elles seront inscrites toutes deux en tant que mères et bénéficieront des mêmes droits et obligations que ceux de la filiation par le sang. Dans un autre cas de figure, si le projet parental a été réalisé par relation sexuelle, l'homme ayant fait l'apport de spermatozoïdes dispose d'un délai d'un an pour demander qu'un lien de filiation soit établi avec l'enfant qui en est issu. Bien que la conjointe de la mère biologique apparaisse comme «coparente» sur l'acte de naissance de l'enfant, elle ne peut s'opposer à l'établissement de ce lien de filiation s'il intervient dans l'intervalle prévu par la loi. «En revanche, si le père ne se prévaut pas de ses droits dans l'année, il n'aura absolument plus de recours, tous les droits étant du ressort des deux mères.» La loi ne considère que deux parents légaux. L'adoption donne lieu à des dispositions analogues. Lorsque les parents adoptifs sont de même sexe, ils sont désignés comme les pères ou les mères de l'enfant, l'inscription à l'état civil résultant du jugement d'adoption.

L'adoption de ces deux lois répond à des réalités bien implantées dans nos sociétés. Elles contribuent à réduire l'écart entre les sphères sociales et juridiques. Certes, leur objet est encore un sujet de débats sur l'avant-scène publique. Toutefois, estime Gilles Marchildon, le droit égal au mariage et l'homoparentalité se fondront avec le temps dans l'anonymat du quotidien. Pour appuyer ses dires, il cite l'abolition de l'esclavage et le droit de vote des femmes, qui semblent aujourd'hui parfaitement naturels dans nos sociétés.

Collaboratrice du Devoir

À voir en vidéo