Des organisations sont malmenées - L'OLF souffre aussi des incohérences du système judiciaire
La Commission des droits de la personne n'est pas la seule instance à subir les incohérences du système judiciaire. Le syndicaliste Fernand Daoust en donne un exemple: il n'y a plus de recours unique pour ceux qui se plaignent d'avoir perdu un emploi faute de connaître une langue autre que le français, comme le prévoit la Charte de la langue française.
Autrefois, ces causes étaient entendues par l'Office de la langue française (OLF). Depuis l'an dernier, les travailleurs syndiqués doivent se plaindre à l'arbitre de griefs; les non-syndiqués, eux, doivent s'adresser au commissaire du travail.«C'est une aberration», note M. Daoust qui, à la FTQ, a fait de la francisation des lieux de travail une de ses grandes batailles. «Avoir deux voies différentes pose des problèmes de cohérence dans les décisions rendues. De plus, le recours au commissaire du travail est gratuit, alors qu'il faut payer un arbitre de griefs, ce qui peut être fort dispendieux. C'est une contrainte susceptible de bloquer des recours.»
L'OLF a perdu ses pouvoirs lors de l'adoption de la loi 171, en décembre 2000, dans la foulée d'un jugement rendu deux ans plus tôt à propos de l'Hôpital chinois de Montréal. La Cour supérieure avait alors estimé que les décisions de l'OLF en matière de langue de travail étaient de nature quasi judiciaire. Or la nomination de ses membres ne respectait pas les critères requis pour des causes de cette nature et il y avait danger de partialité.
M. Daoust, l'un des membres de l'OLF à avoir siégé dans la cause de l'Hôpital chinois de Montréal, croit toujours que l'organisme était «le plus techniquement compétent pour juger dans ce domaine». On aurait pu soit régler la question de l'impartialité, soit tout verser au commissaire du travail. La pire décision que le législateur pouvait prendre, dit-il, c'était encore de créer un régime à deux vitesses.
Résultat: alors que l'OLF rendait environ trois décisions par année — accumulant une jurisprudence de quelque 75 décisions —, le commissaire du travail n'a jusqu'à maintenant entendu qu'une seule plainte dans ce domaine.
La FTQ a d'ailleurs écrit directement à la ministre responsable de la Charte, Diane Lemieux, pour lui exposer la situation. Et M. Daoust a manifesté sa dissidence au sein même de l'OLF. «Ça m'a bien irrité que le législateur ne voie pas cette faille-là, ne tente pas de la corriger et y soit même insensible», dit-il aujourd'hui.
Faut-il y voir un lien avec ses protestations? Le mandat de Fernand Daoust à l'OLF n'a pas été renouvelé. Il a pris fin le 1er octobre alors qu'il siégeait à l'organisme depuis ses tout débuts, il y a 25 ans.
Rien de surprenant
Ces tiraillements n'étonnent pas Claude Masse. L'ancien professeur de droit, qui fut bâtonnier du Québec et qui reste un passionné de l'état de notre système judiciaire — il recevra d'ailleurs le prix de la Justice du Québec le 21 octobre —, croit en fait que ces débats sont inévitables.
«La question de la compétence existe depuis la création des premiers tribunaux spécialisés, dans les années 20. Mais le problème va en s'accentuant car le système devient de plus en plus compliqué, surtout en matière de droit du travail, qui a connu une évolution spectaculaire depuis 25 ans» fait remarquer Me Masse.
Il y avait pourtant moyen de procéder autrement, souligne-t-il. Pourquoi avoir créé des tribunaux spécialisés alors qu'on aurait tout simplement pu doter la Cour du Québec, de chambres spécialisées en droit de la consommation, par exemple, ou en droits de la personne?
«Les juges auraient ainsi été assurés de leur indépendance plutôt que d'être nommés pour cinq ans, comme on le voit au Tribunal administratif du Québec. Car, le danger de la mainmise de l'État dans ce type de dossiers est réel.
«De plus, la présence de tribunaux spécialisés complique énormément la situation: même pour un avocat, c'est un fouillis considérable de s'y retrouver. En ayant des chambres au sein d'un tribunal de droit commun, les causes sont confiées à des juges ayant une compétence plus large, plus de pouvoirs, et qui risquent de rendre des jugements plus cohérents.»
Mais Claude Masse reconnaît que son opinion est «très marginale et pas du tout partagée au Québec». Et il note qu'à Québec, le gouvernement n'est absolument pas disposé à mener une telle réflexion de fond.