Télémarketing en prison - Des détenus ont accès à la vie privée des Canadiens
Ottawa - Il n'y a pas qu'à Orsainville que les détenus sont appelés à accomplir des tâches incompatibles avec leur statut, soit imprimer des cartes d'identité pour la Sûreté du Québec. Dans deux pénitenciers fédéraux ontariens, les prisonniers apprennent l'art du télémarketing. Ceci inquiète l'industrie, qui a été aux prises avec des dérapages par le passé.
Des prisonniers des pénitenciers fédéraux de Pittsburg et Fenbrooke, en Ontario, font en sous-traitance du travail de télémarketing, obtenant ainsi une multitudes de renseignements personnels sur les citoyens interrogés qui ne savent pas à qui ils parlent.C'est ce qu'a dénoncé avec virulence hier le Conseil canadien de la recherche par sondage (CCRS), un regroupement d'environ 80 entreprises, pour la plupart des maisons de sondages et leurs clients. Le CCRS soutient avoir obtenu, grâce à la Loi sur l'accès à l'information, des documents qui démontrent que le Service correctionnel du Canada cherche à étendre la pratique à d'autres prisons du pays.
«Franchement, personne ne penserait à montrer à des pédophiles condamnés comment gérer des garderies, dit le président du CCRS, Peter Greensmith. Pourquoi pense-t-on alors que c'est une bonne idée de montrer aux prisonniers comment obtenir par téléphone des données sur la vie privée des Canadiens, leur maison, leurs biens, et de leur donner accès à ces renseignements?»
Le CCRS n'a pas de preuve que le programme a permis à des prisonniers d'utiliser frauduleusement les données ainsi obtenues. Mais on rappelle que des expériences similaires faites par le passé ont déjà donné lieu à des dérapages. Ainsi, rappelle le CCRS, un prisonnier de Ferndale (Colombie-Britannique) a déjà détourné 200 000 $ de huit personnes parce qu'il avait conservé les numéros d'assurance sociale et de permis de conduire qui apparaissaient sur des documents qu'il avait eu pour tâche de passer à la déchiqueteuse.
Le porte-parole Greg Jodouin rappelle le cas d'un prisonnier américain qui avait accumulé 24 pages d'information sur une dame grâce au sondage qu'il lui avait demandé de remplir à propos de ses préférences en matière de consommation. «Il lui a envoyé une lettre de menaces à caractère sexuel truffée de références à ce qu'elle utilisait, comme la crème Neutrogena», dit M. Jodouin.
Plus près de nous, le ministre de la Sécurité publique, Normand Jutras, a ordonné la semaine dernière la tenue d'une enquête sur les activités dans les ateliers de travail des prisons du Québec après qu'il eut été révélé que des détenus avaient pour tâche d'imprimer les cartes d'identité de la SQ. Certaines de ces cartes se sont ensuite retrouvées illégalement en circulation.
À la Chambre des communes, tant le Parti conservateur que l'Alliance canadienne ont saisi la balle au bond.
«Les abus potentiels sont illimités, a lancé le conservateur Bill Casey. Comment le ministre peut-il justifier qu'il soumette les Canadiens à une mesure aussi folle?»
Le solliciteur général Lawrence MacAulay a assuré que les détenus participant à ce programme de réinsertion au travail (CORCAN) «sont triés avec soin avant de faire ce travail. Ils n'ont pas accès à des renseignements personnels».
Une affirmation qui a enragé l'allianciste Randy White. «Je ne connais pas un seul détenu qui soit capable de dire "allô" au téléphone, de poser des questions aux gens à propos de leur famille, de leur vie privée et de leurs biens sans détenir de l'information. Réveillez-vous!» M. White a demandé que le programme cesse.
Personne au Service correctionnel du Canada ni au bureau de M. MacAulay n'a rappelé Le Devoir hier.