Gestion - Un acte de foi en attendant la loi...
Le discours du Trône récemment prononcé par la gouverneure générale, Adrienne Clarkson, met peu d'emphase sur la régulation des milieux financiers. Pourtant, suite aux faillites retentissantes de plusieurs compagnies majeures aux États-Unis, la confiance envers les milieux financiers est à son plus bas. La réciprocité entre l'économie américaine et canadienne fait craindre une contagion de ces méthodes de gestion. Sommes-nous à l'abri d'un tel scénario?
Dans l'allocution de la gouverneure générale, Ottawa reconnaît ainsi que les scandales financiers et les escroqueries en série chez nos voisins du sud ont «ébranlé la confiance portée aux marchés financiers [...] partout dans le monde» et prévoit «renforcer la confiance des investisseurs et améliorer le bon fonctionnement et l'intégrité des marchés financiers canadiens».Pour y parvenir, le gouvernement canadien assure également qu'il «passera en revue et, si nécessaire, changera ses propres lois et renforcera les moyens de les appliquer, afin que les normes de gouvernance [sic] auxquelles sont astreintes les institutions financières et les entreprises constituées en vertu des lois fédérales soient du plus haut niveau».
Alors que 55 % des Canadiens affirment avoir perdu confiance dans les marchés boursiers suite aux scandales des firmes américaines Enron, WorldCom, Tyco et autres, la proposition semble indispensable. Cependant, celle-ci demeure vague et imprécise: «Le gouvernement en dit peu, mais fait preuve d'une bonne intention», souligne Bernard Brault, conseiller en management et membre de l'Ordre des administrateurs agréés du Québec (ADMA).
Des moyens pour contrer l'escroquerie
À la fin des années 1990, les revenus des dirigeants d'entreprise américains étaient constitués à 80 % d'options d'achat d'actions. De cette façon, on croyait pouvoir obtenir d'eux une efficacité maximale afin que leurs décisions fassent grimper la valeur de la compagnie sur les marchés boursiers. Le danger était cependant prévisible: la tentation de faire un gain rapide sans se soucier de la rentabilité à long terme de l'entreprise.
Ainsi, diverses manipulations ont permis à plusieurs de s'enrichir tout en mettant plusieurs entreprises en mauvaise posture. Par ricochet, les investisseurs privés ont été lésés par les dirigeants des entreprises dans lesquelles ils avaient investi. Les Américains ne sont pas les seuls à être à la merci des gestionnaires d'entreprise; le Québec aussi a connu les méfaits des manipulations financières.
L'exemple Cinar
Durant les premiers mois de l'année 2000, l'action de Cinar, entreprise montréalaise de production télévisuelle, a subi une dégringolade rapide de la valeur de ses actions suite à une magistrale fraude organisée par ses fondateurs. Un investissement de 122 millions de dollars américains avait ainsi été enregistré aux Bahamas sans avoir obtenu préalablement l'autorisation du conseil d'administration de l'entreprise. Ce geste était, en plus, doublé d'un scandale de fraude fiscale. Le couple a été condamné à payer deux millions de dollars d'amendes et à ne plus occuper de poste de direction dans une société cotée à la Bourse. Des sanctions qui sont loin d'égaler l'ampleur de la fraude commise.
Pour remédier à ce genre de situation, le gouvernement du Canada annonçait cet été son intention d'instaurer un système de surveillance publique indépendant des vérificateurs de sociétés inscrites en Bourse. Pour ce faire, le gouvernement prévoyait créer un Conseil canadien sur la reddition des comptes (CCRC) afin d'administrer le tout et de veiller à l'indépendance et à la transparence de ce nouveau système. De plus, le projet de loi 107 du gouvernement québécois, destiné à introduire la Loi sur l'Agence nationale d'encadrement du secteur financier, a pour objectif de réglementer la vérification des entreprises et de hausser les pénalités judiciaires destinées aux personnes coupables de fraudes.
Une législation nécessaire qui ne règle pas tous les problèmes
Selon l'Ordre des comptables agréés du Québec (OCAQ), ce projet de loi «est une réforme de structure insuffisante, à elle seule, pour restaurer la confiance et protéger épargnants et consommateurs». Bernard Brault est du même avis: «C'est évident qu'il doit y avoir un meilleur encadrement des pratiques financières, mais il faut éviter de continuer à pointer les comptables, car la faute appartient plutôt aux gestionnaires.»
Selon lui, c'est se tromper de cible que de mettre la faute sur les pratiques comptables: «Les comptables sont des professionnels qui sont encadrés par des normes et des règlements, mais qui prend la décision finale dans une entreprise? Ce sont les gestionnaires. C'est eux qu'il faut mieux contrôler», poursuit-il. Ainsi, le véritable danger ne viendrait pas de ceux qui vérifient les finances des entreprises, mais plutôt de ceux qui gèrent ces compagnies.
Une confiance à retrouver
Mais la crise de confiance dans les valeurs capitalistes n'est toutefois pas irréversible. La tâche demeure néanmoins ardue, car plusieurs pratiques néfastes sont installées et répandues parmi le monde de la finance.
Une des solutions à ce problème est issue des analyses et des recherches de l'ADMA. En fait, cette issue existe depuis plus de 20 ans. Les principes et normes de saine gestion préconisés par l'Ordre des administrateurs agréés du Québec ont été élaborés dans le but d'appliquer des règles strictes au travail des gestionnaires d'entreprise.
Pourtant, ces recommandation n'ont jamais été prises en considération par le gouvernement. «On nous disait avant que notre méthode était une excellente pilule, mais qu'il n'y avait pas de maladie. Maintenant, on nous dit qu'il y a une maladie, mais qu'il n'y existe pas de pilule!», ironise Bernard Brault.
Les principes de la méthode de l'ADMA sont pourtant simples: combiner les fonctions de gestion (planifier, organiser, diriger, contrôler, coordonner) aux principes de saine gestion (transparence, continuité, efficience, équilibre, équité et abnégation).
«On ne prétend pas réinventer la roue, rectifie le conseiller en management, mais la réalité, c'est que personne ne veut se faire imposer une réglementation. Les compagnies canadienne ne veulent pas nous voir puisqu'elles sont cotées en Bourse et qu'un mauvais rapport d'audit qui mettrait en relief le risque d'une mauvaise gestion serait mauvais pour leurs indices boursiers.»
L'objectif ultime des désirs d'implanter une nouvelle réglementation est de réduire au minimum le risque de manipulations financières afin de rétablir la confiance des investisseurs dans le marché boursier. Cependant, quel que soit le système en place, ceux qui désirent le déjouer trouveront toujours un moyen de le faire. L'énormité des sommes en jeu enlève souvent toute valeur morale aux actions.
«Beaucoup d'administrateurs ont quelque chose à cacher, croit Bernard Brault. Mais l'objectif n'est pas de viser des personnes en particulier, mais plutôt de faire en sorte que les manipulations financières deviennent de plus en plus difficiles à réaliser.»