Une entrevue avec Jean K. Samson - L'année de tous les défis

Dans l'univers généralement tranquille des ordres professionnels, l'année 2002 fait figure d'exception, et ce, à la grandeur de la planète, y compris au Québec. Ainsi, pendant que les Américains tentaient d'endiguer la vague de méfiance provoquée par le scandale d'Enron, en adoptant la loi 90, le Québec procédait à la première réforme d'importance de son système professionnel depuis 30 ans. Une réforme doublée d'une réflexion approfondie sur l'intérêt de regrouper les professionnels de l'enseignement un sein d'un ordre professionnel. Réflexion qui devrait d'ailleurs connaître son aboutissement d'ici la fin de la présente année. En plein coeur de ce tourbillon, le président de l'Office des professions du Québec, Jean K. Samson, se dit satisfait du chemin parcouru et prévoit une année 2003 tout aussi chargée.

En juin 2002, six mois à peine après le dépôt du groupe de travail sur les professions de la santé et les relations humaines, l'Assemblée nationale adoptait la loi 90. Première réforme d'importance à survenir dans le champ des pratiques professionnelles depuis 1973, la loi modifie le partage des tâches entre 11 professions du secteur de la santé, dont les infirmières, les infirmières auxiliaires et les médecins, pour ne nommer que celles-là. Une autre façon de dire que certains professionnels pourront désormais effectuer des actes médicaux qui leur étaient interdits auparavant.

Exceptionnelle au plan du contenu, pour Jean K. Samson, la loi a surtout la particularité d'avoir fait un large consensus. «Les champs de pratique dans le secteur de la santé n'avaient pas été revus depuis très longtemps. La mise à jour était donc nécessaire. Le travail accompli dans ce sens est une véritable révolution, mais ce qui est surtout remarquable, c'est que toute la démarche ait été un véritable succès de consensus. Un consensus non seulement entre les ordres intéressés, mais aussi auprès des patients et des établissements où travaillent ces professionnels. Même les parlementaires ont adopté la loi à l'unanimité et sont heureux de la manière dont les choses se sont déroulées. C'est presque une première dans le système professionnel.»

Pour le président de l'Office des professions du Québec, plusieurs raisons peuvent expliquer la facilité avec laquelle le processus s'est déroulé, mais l'évolution des mentalités a surtout fait la différence. «Pour une fois, tout le monde était conscient des problèmes que l'ancien partage des responsabilités occasionnait. Tout le monde voulait aussi assurer une bonne continuité dans les soins, même si cela voulait dire assouplir l'accès à certains actes médicaux traditionnellement réservés à un groupe ou l'autre de professionnels. On était au-dessus des guerres entre ordres qui veulent se partager un même gâteau.»

Questionnements de fond

L'harmonie palpable dans le dossier de la santé n'a cependant pas caractérisé toutes les actions entreprises au cours de l'année. Autre débat important en 2002, le regroupement des enseignants au sein d'un ordre professionnel par exemple est loin de faire l'unanimité. Réclamée par le Conseil pédagogique interdisciplinaire du Québec, la réflexion entourant la pertinence d'un ordre professionnel pour les enseignants rencontre en effet de nombreuses oppositions, dont celle des centrales syndicales.

Oppositions ou non, l'Office des professions doit faire ses recommandations au gouvernement d'ici la fin de l'automne 2002, après quoi l'appareil gouvernemental devra trancher. Une décision qui promet d'être délicate selon Jean K. Samson. «Habituellement, les décisions en lien avec le système professionnel ne présentent que très peu de questionnements politiques. Dans le cas des enseignants, la situation est légèrement différente. Je demeure quand même positif. Peut-être que les gens ont pris goût au consensus au cours des derniers mois et que ça influencera les choses.»

Par-delà les dossiers sectoriels, l'année 2002 a aussi été marquée par le scandale d'Enron et les questionnements qu'il a entraînés à l'égard du professionnalisme des firmes comptables. Ainsi, s'il est persuadé qu'une situation semblable ne risque pas de se produire au Canada ou au Québec, le président de l'Office des professions concède que l'histoire a tout de même un peu ébranlé le système. «Le système professionnel repose sur la confiance existante entre le client et le professionnel. Dans ce contexte, quand un secteur professionnel est écorché par un scandale comme celui d'Enron, tout le monde a quelque chose à perdre. Cela dit, le professionnalisme se porte quand même bien au Québec et les gens ne semblent pas avoir perdu confiance. Bien sûr l'ambivalence à l'égard des intérêts corporatifs que peut avoir un ordre par opposition à sa responsabilité de protection du public demeure, mais globalement la perception des gens est bonne.»

Chose certaine, ce n'est pas demain la veille que l'on cessera de questionner le fonctionnement des ordres professionnels. Déjà l'Office des professions a été invité à se joindre à la grande table interministérielle sur la reconnaissance des acquis. Au cours de la prochaine année, il scrutera donc à la loupe l'attitude des différents ordres professionnels à l'égard des professionnels immigrants et des autodidactes. Objectif avoué, selon Jean K. Samson, «favoriser une plus grande ouverture des ordres professionnels à l'égard des gens qui ont ce statut». De quoi, ajoute-t-il, «vivre encore une grosse année».

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