Drôle de course à la mairie à Québec

Alors que Régis Labeaume tarde à céder le terrain à sa dauphine Marie-Josée Savard, pas moins de quatre autres partis politiques sont dans la course pour gagner la mairie de Québec, et ce, avec des propositions qui se ressemblent beaucoup. À six mois des élections, c’est à se demander comment l’électeur s’y retrouvera.
Le 10 juin dernier, beaucoup se sont demandé pourquoi c’est le maire Labeaume qui a répliqué au plan de métro présenté par Jean-François Gosselin et non pas Mme Savard. Après tout, le projet de M. Gosselin constituait un enjeu électoral.
« C’est encore moi le maire de Québec jusqu’en novembre, c’est moi le maire », déclarait M. Labeaume. « Madame Savard, on a dit au début de la campagne qu’elle ne profiterait pas de sa position pour se faire du capital politique. »
Histoire de compliquer les choses encore davantage, un Jean-François Gosselin, ravi d’avoir piqué le maire au vif, le convoquait à un débat sur le sujet lundi dernier. Comme si c’était lui, son adversaire en vue des élections.
M. Gosselin, qui s’est converti aux vertus du transport en commun au cours du dernier mandat, a présenté un projet de réseau structurant dont la logique n’est pas si éloignée de celle du tramway, si ce n’est qu’il s’agit d’un métro cantonné en Haute-Ville.
Le chef de l’opposition, qui compte 3 sièges sur 22 au conseil municipal, ne peut désormais plus être cantonné dans la catégorie des anti-transports en commun, ce qui le rapproche des quatre autres partis dans la course.
Et qui l’éloigne des radios qui l’ont fait naître en 2017 avec le mouvement d’opposition au service rapide par bus (SRB). Les Jeff Fillion et compagnie ont d’ailleurs accueilli froidement son projet de train léger et ne font plus campagne pour lui, d’autant plus qu’il n’a pas dénoncé à l’automne la décision de Régis Labeaume de ne plus leur acheter de publicité.
« On a évolué », a dit M. Gosselin concernant son appui à des investissements majeurs en transport en commun. Avec ce virage, son équipe espère visiblement courtiser un électorat plus vaste, tout en conservant son bassin d’électeurs qui tiennent au tunnel Québec-Lévis et sont opposés au projet de tramway du maire Labeaume. Dans ses rangs, on ne table pas sur une majorité forte. Il suffirait toutefois d’une division du vote plus à gauche pour permettre au parti de se faufiler, pense-t-on.
Les trois autres partis dans la course sont Québec forte et fière (dont le chef est Bruno Marchand), Démocratie Québec (Jean Rousseau) et Transition Québec (Jackie Smith). Créé au printemps, Québec forte et fière est axé sur la qualité de vie et une approche plus consensuelle de la politique. Le parti a proposé d’investir dans les parcs et de rétablir la vocation agricole des terres des Sœurs de la Charité à Beauport. Il s’est également engagé à soumettre un projet controversé de centre de données dans Vanier à une consultation publique.
Démocratie Québec est l’ancien parti d’Anne Guérette, Paul Shoiry et David Lemelin. Après avoir représenté l’opposition officielle, il a été relégué en 2017 à un seul siège, celui de Jean Rousseau, conseiller du secteur de Cap-aux-Diamants (Vieux-Québec).
Le 9 juin, M. Rousseau s’est vêtu du gilet du Canadien de Montréal en prévenant que lui aussi saurait confondre les sceptiques. Il s’est allié à des groupes de citoyens pour dénoncer plusieurs projets tels le Centre de données dans Vanier et des complexes immobiliers sur Grande Allée et dans le secteur du golf de Cap-Rouge. Démocratie Québec a également présenté son propre projet de tunnel, lequel serait toutefois réservé au transport en commun.
Le troisième parti, Transition Québec, ne compte aucun élu, mais table sur des propositions plus tranchées, telle une opposition claire à Laurentia et au tunnel Québec-Lévis. Puisant dans le bassin des électeurs de Québec solidaire au centre-ville, le parti se donne pour priorité la lutte contre les changements climatiques.
Tous ces mouvements sont favorables au projet de tramway et gagnés aux vertus de la consultation citoyenne et la qualité de vie, priorités auxquelles s’attache aussi Équipe Marie-Josée Savard.
Dans l’ensemble, les similitudes sont si grandes entre les cinq forces en présence que plusieurs partis courtisent les mêmes candidats de district, indiquait cette semaine une source au Devoir.
Blanc bonnet, bonnet blanc ?
Pour compliquer les choses, les repères idéologiques d’hier ne sont plus ce qu’ils étaient. Après avoir fait campagne en 2017 en se présentant comme le défenseur des automobilistes et des banlieues, Jean-François Gosselin en a surpris plus d’un en soumettant un projet de métro cantonné à la Haute-Ville de Québec.
Cela a donné lieu à une attaque pour le moins étonnante de M. Labeaume qui a alors accusé M. Gosselin de n’en avoir que pour la Haute-Ville et d’oublier les banlieues.
Autre source de confusion : les allégeances passées des uns et des autres. Ainsi, Bruno Marchand annonçait récemment avoir recruté l’avocate Catherine Morissette, la cousine de Jean-François Gosselin, qui, comme ce dernier, avait été élue députée de l’ADQ en 2007. Les deux seraient toutefois en froid depuis des années, selon nos informations.
La cheffe de Transition Québec, Jackie Smith, s’est quant à elle présentée sous la bannière de Démocratie Québec aux dernières élections dans le district Limoilou. Questionnée à ce sujet, Mme Smith dit qu’elle a quitté le parti dès 2018 parce qu’il n’était pas assez progressiste.
Le chef de cabinet de Jean-François Gosselin, Richard Côté, est par ailleurs l’ancien bras droit d’Équipe Labeaume au comité exécutif (2007-2013) tandis que Patrick Paquet, un autre élu de Québec 21 est, lui aussi, un ancien élu d’Équipe Labeaume (2007-2012).
En tenant compte du fait que Québec forte et fière a aussi recruté un conseiller du dernier mandat d’Équipe Labeaume (Pierre-Luc Lachance dans Saint-Roch), le portrait est pour le moins tricoté serré.
Dans ce contexte, d’aucuns se demandent si une fusion entre partis pourrait être opportune. Jean Rousseau, que des journalistes ont questionné sur une alliance avec Québec forte et fière, s’en montre agacé. Le conseiller en poste depuis quatre ans soutient que ce n’est pas à lui « de justifier leur geste » d’ajouter un autre parti sur l’échiquier.
Du côté de QFF, on souligne à ce sujet que le parti a été créé justement parce que Bruno Marchand et son équipe ne se reconnaissaient pas dans les autres formations.
La perspective qu’un sixième candidat à la mairie s’ajoute à la campagne semble cependant moins probable depuis la décision définitive de l’ancien ministre libéral Sam Hamad de ne pas se lancer.
Dans pareil contexte, cette élection pourrait marquer une rupture historique dans la politique municipale de Québec où la tradition, depuis Lucien Borne (1938-1953), consiste à élire des maires avec de fortes majorités pendant plusieurs mandats (Andrée Boucher exceptée). À moins que l’un ou l’autre des cinq candidats ne surprenne tout le monde en s’imposant comme l’avait fait lui-même Régis Labeaume en 2007.