La zone grise de la maison de chambres

Quand on demande à Noël Grenier quel est le « principal problème » dans les maisons de chambres, il éclate de rire. Âgé de 62 ans, il a passé 10 ans à les essayer les unes après les autres, jusqu’à il y a un an demi.
Aujourd’hui, il se décrit comme un « ex-chambreur » et participe aux travaux d’un comité pour améliorer les conditions de vie dans ces lieux. Des problèmes graves en chambre, il en a remarqué plusieurs. « C’est un milieu “ rough ”. Il y a certains abus qui n’ont pas lieu d’être, dit-il. Il faut oublier la belle petite chambre d’étudiant… »
M. Grenier assistait jeudi matin au dévoilement d’une vaste étude sur le sujet commandée par le Centre de santé et service sociaux de la Vieille Capitale. Fruit de trois ans de travail, l’étude conclut qu’il faut impérativement améliorer les conditions de vie dans ces maisons.
« Les maisons de chambres sont vraiment dans une position mitoyenne, remarque l’une des auteures de l’étude, Michèle Clément. C’est la porte de sortie de la rue puis c’est la dernière escale. Et, dans les deux cas, si on se situe dans le champ de l’intervention en santé, ça devient une ressource incroyable. […] C’est un carrefour où il faut absolument agir. »
À Québec, on recense 120 maisons de chambres et 1313 chambres disponibles. Leur prix oscille entre 331 $ et 362 $ (chauffage inclus) ou entre 695 $ et 777 $ lorsque les repas sont fournis. La plupart des résidents sont des hommes, majoritairement dans la cinquantaine. Mais on a aussi observé, ces dernières années, une augmentation à la fois des personnes âgées et des jeunes qui sortent des centres jeunesse.
Les témoignages recueillis dans l’étude parlent de gens qui plongent, mais aussi de personnes qui s’en sortent. René, un Montréalais de 54 ans se retrouve en chambre à Québec après avoir suivi une thérapie. Il avait auparavant tout perdu : condo, blonde, travail. Thomas, lui, a loué sa première chambre pendant ses études pour pouvoir se payer plus de drogue. Léa s’y est installée un temps pour fuir un conjoint malsain…
Il y a aussi des histoires moins dramatiques, comme celle de Martin Goulet, 40 ans. Rencontré à la conférence de presse, il a dit vivre en chambre depuis 15 ans et y trouver son compte. « Étant donné le maigre revenu que j’ai, c’est ce qui est le plus abordable », dit-il avant d’ajouter qu’il y vit une sorte de colocation idéale.
À Québec, la majorité des chambres offertes se trouvent dans le centre-ville (Saint-Roch, Saint-Jean-Baptiste, Limoilou). À l’inverse, certaines maisons de chambres en banlieue manquent cruellement de locataires. À 400 $ par mois, avec 610 $ d’aide sociale, la plupart des gens ont besoin des banques alimentaires qui se trouvent au centre-ville, nous dit-on.
Des abus et des propositions
Au-delà des problèmes d’hygiène, du bruit et de l’insécurité, l’étude rend compte de nombreux abus. Un chambreur raconte qu’un propriétaire faisait travailler ses locataires sur son terrain en leur faisant croire qu’il allait leur léguer sa maison… Certains mettent des locataires à la porte sans préavis. Étant donné que les gens n’ont souvent pas de bail et louent au mois, les victimes sont sans recours.
Et les abus vont aussi dans l’autre sens : des locataires qui saccagent tout, d’autres qui abusent du chauffage inclus en le mettant au maximum, tout en laissant les fenêtres ouvertes en plein hiver. On a aussi souvent évoqué des cas de fumeurs qui retirent les batteries des détecteurs de fumée, mettant en péril la sécurité des occupants de tout l’immeuble.
Les auteures de l’étude proposent différentes pistes d’action. Sur le plan législatif, on réclame un système de dénonciation et des mécanismes de contrôle pour les cas d’abus et les problèmes d’insalubrité. La protectrice du citoyen a d’ailleurs déjà réclamé des actions dans le passé sur ce plan après avoir été saisie de plaintes qu’elle n’avait pas le pouvoir de traiter.
La plupart des acteurs concernés s’entendent en outre pour dire que les intervenants sociaux devraient y être plus présents. On propose d’offrir de l’aide non seulement aux locataires, mais aux propriétaires qui sont dépassés par l’ampleur des problèmes. Certains suggèrent de créer des mécanismes de fiducie pour que des organismes communautaires gèrent le budget des personnes (surtout les toxicomanes) pour éviter les non-paiements de loyer, les expulsions et les problèmes de surconsommation.
On suggère aussi de fixer un prix maximum pour les loyers et les augmentations autorisées par année. Selon un propriétaire cité dans le rapport, les prix auraient presque triplé sur le marché de Québec depuis 2000.
La construction de nouveaux logements sociaux pour clientèles spécifiques figure aussi parmi les pistes proposées, surtout pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale.
Un intervenant cité dans le rapport note toutefois qu’il faudra « faire attention » et ne pas trop encadrer le secteur non plus. Les gens qui traversent une telle période, dit-il, ne veulent justement pas être pris avec « trop de règlements, de restrictions et de responsabilités ». Après tout, la dernière chose qu’on souhaite, c’est pousser davantage de gens vers l’itinérance.