Point chaud - L’Erin Brockovich de Limoilou

L’histoire de Véronique Lalande est digne d’un scénario de film. Avec des moyens modestes, cette simple citoyenne a mis en lumière un grave problème de pollution dans son quartier. Elle a ébranlé la ville de Québec, le ministère du Développement durable, la Direction de la santé publique, l’Administration du Port de Québec et la compagnie Arrimage du St-Laurent. Mais que veut vraiment l’Erin Brockovich de Limoilou ?
À Québec, beaucoup s’attendent à la voir bientôt apparaître sur la pancarte d’un parti politique. Or rien n’est moins sûr. « J’ai été approchée par à peu près tous les partis, dit-elle un brin amusée. C’est de bonne guerre. Ces gens-là sont toujours en recrutement et quand il y a quelqu’un qui sort du lot… »
« Les gens me disent que je pourrais gagner. C’est sûr que ça prend ça pour se lancer, mais il faut aussi que tu la veuilles la “job” le lendemain des élections. […] Je serais malheureuse. »
Équipe Labeaume fait toutefois partie de ceux qui ne l’ont pas courtisée. Récemment, au conseil municipal, le maire Régis Labeaume lui a reproché d’avoir participé à une conférence de presse avec Amir Khadir. « Moi, je pense que Mme Lalande a fait un excellent travail. Elle est très intelligente […] sauf que sa conférence de presse avec M. Amir Khadir a créé beaucoup de doutes dans mon esprit. […] Amir Khadir, ce n’est pas un de mes amis. M. Khadir n’a jamais eu de bons mots pour l’administration de la ville de Québec. […] Vous comprendrez qu’à partir de là, je vais garder une saine distance vis-à-vis de ces gens-là. »
La principale intéressée est membre de Québec solidaire, mais elle jure que ce n’est pas pour ça qu’elle est allée les rencontrer, mais bien parce qu’ils voulaient présenter une motion sur son dossier à l’Assemblée nationale. Mais ses relations avec le maire ne sont apparemment pas si mauvaises puisqu’elle a accepté à sa demande de siéger dans un comité de vigilance du port. Une annonce doit d’ailleurs avoir lieu à ce propos ce lundi.
Il s’en est passé des choses depuis l’automne dernier. Installés depuis deux ans dans Limoilou, Véronique et son conjoint, Louis, n’en pouvaient plus de ramasser de l’épaisse poussière sur le balcon et les fenêtres. Leur maison est située dans la portion moins proprette de Limoilou où on sent l’odeur de l’usine de pâtes et papiers. Le vent souffle en provenance de l’incinérateur, de l’autoroute et du port de Québec, et la poussière est un irritant quotidien.
Or un matin d’octobre, la poussière était rouge, et son petit garçon de un an en a mis sur ses mains et sur son visage. C’en était trop. Après avoir ébruité l’affaire dans les médias, elle se rend au conseil municipal pour interpeller le maire. Le dossier fait la manchette. La compagnie qui transborde les minerais dans le port (Arrimage Québec) reconnaît que de l’oxyde de fer s’est répandu dans l’air, mais assure qu’il s’agit d’un incident isolé. Le ministère dépose un avis d’infraction puis le dossier est éclipsé par d’autres nouvelles.
Véronique Lalande et Louis (un scientifique) prennent des échantillons de poussière, documentent le dossier et avancent que les concentrations de nickel qu’ils ont trouvées sont alarmantes. Ils n’ont pas choisi de se concentrer sur ce minerai pour rien, reconnaît-elle. « C’est à peu près impossible que le nickel vienne d’ailleurs que du port. Donc c’est facile à retracer, c’est un élément pour lequel il y a de réels impacts sur la santé. On s’est dit qu’on allait sortir de l’anecdote. »
On connaît la suite. De nouvelles études du ministère du Développement durable et de la Santé publique lui ont donné raison quant au rôle du port et aux impacts réels sur la santé. Mais l’Erin Brockovich de Limoilou n’en a pas fini avec le port et Arrimage du St-Laurent. À la veille de la conférence de presse d’Arrimage de vendredi dernier, elle a écrit à tous les journalistes pour leur signaler des éléments à vérifier. Après la conférence, elle les a accueillis dans la bonne humeur pour réagir sur son balcon. C’est à croire qu’elle aime la lutte.
Non, insiste-t-elle. La bonne humeur « c’est pour ne pas devenir fou. Tu viens de laver ton balcon, tu ressors, il est encore plein de poussière… Tu entends plein de mensonges, on remet en question ta crédibilité, tes intentions… »
« Mon balcon, il n’a pas changé depuis le 26 octobre. Il est encore plein de poussière, mais moi, j’ai changé. Je ne suis plus un témoin passif. Le fait d’être en action, ça rend le quotidien un peu plus supportable. »
À la blague, elle lance qu’il faut que « ce soit réglé » avant la fin de son congé de maternité, en juillet.
Le sens de l’engagement
Véronique Lalande travaille en gestion de milieu de travail chez CGI. Son travail, explique-t-elle, l’amène à cerner des processus complexes, à les vulgariser. Elle a hâte d’y retourner.
Âgée de bientôt 40 ans, elle vient d’une famille politisée et engagée socialement. Pour elle, ça a toujours été naturel. À 4 ans déjà, elle avait créé une assemblée d’enfants à sa garderie pour protester contre l’organisation des siestes ! Avant de s’engager dans la cause de Limoilou, elle raconte qu’elle s’indignait du harcèlement des marginaux par les policiers.
Mais un déclic s’est fait au cours des derniers mois. « Dans la mouvance du printemps érable, du printemps arabe, d’Idle No More, on s’est dit que ça suffisait. Comme beaucoup de gens, on était dans le désabusement, mais là, on s’est dit qu’on ne serait plus seulement des témoins. »
Derrière toute cette croisade, il y a aussi un attachement profond envers son quartier. Envers chacune des moulures de la vieille maison qu’elle et son conjoint ont minutieusement rénovée. Un quartier où les gens font leurs courses à pied et entretiennent un sentiment d’appartenance étonnant.
Quand un moniteur de l’École de cirque a été menacé d’expulsion parce qu’il y avait des erreurs dans ses papiers, des résidants ont créé un groupe d’appui, sont sortis dans les rues et le ministère de l’Immigration a fini par reculer. Ce dimanche-là, le bulletin de nouvelles ouvrait avec cette histoire et un compte rendu de la réunion du groupe de Véronique Lalande, Vigilance Port de Québec.
Elle n’était pas peu fière. « Je me disais : c’est ça Limoilou, c’est pour ça qu’on se bat pour ça, qu’on l’aime notre quartier. Il y a encore des quartiers où on ne vit pas de façon individuelle, où on décide collectivement de se soutenir les uns les autres. »