Citoyens ordinaires en colère

De Gaspé à Sorel-Tracy en passant par Armagh, les luttes environnementales sont souvent amorcées par de simples citoyens qui, du jour au lendemain, voient leur vie transformée.
Marilou Alarie ne serait jamais devenue conseillère municipale sans le combat pour la sauvegarde de la forêt des Hirondelles. « Pour moi, cela a commencé en 2011, quand une citoyenne est venue cogner à ma porte pour me faire signer une pétition. »
À l’époque, Mme Alarie travaillait dans le secteur des communications et n’avait jamais mis les pieds dans la forêt qui jouxte le parc du Mont-Saint-Bruno. « Je suis allée voir la forêt. Je l’ai trouvée magnifique et j’ai trouvé ça triste, mais c’est quand je suis allée au conseil de ville que c’est venu me chercher. Ils faisaient tout pour que ça se développe. Ils fermaient les yeux sur la faune et la flore. »
Après deux ans de lutte, Marilou Alarie a été élue, en 2013, conseillère municipale pour un parti qui appuyait sa cause. La forêt est toujours là.
Lise Gagnon, de Sept-Îles, a eu moins de chance dans son combat contre la Mine Arnaud. Le projet vient d’être autorisé par décret, mais son groupe continue de le surveiller. « La lutte n’est pas terminée, parce que le décret n’est pas d’une clarté affolante. On a envoyé au ministère des questions sur les engagements de la Mine, les conséquences des infractions s’il y en a. »
Au départ, la Mine l’a dérangée pour des raisons personnelles, parce qu’elle avait un projet agricole sur une terre tout près. « Pour moi, c’était très émotif, parce que je travaillais là-dessus depuis 10 ans. Mais on s’est aperçu qu’on ne pouvait pas juste débattre de moi, de mon terrain… S’il n’y a pas d’enjeu collectif, ça ne mène nulle part. »
Au-delà du « pas dans ma cour »
Les militants comme elle se font souvent accuser de souffrir du syndrome « pas dans ma cour ». C’est bien injuste, selon Denis Robillard, du Regroupement de Sorel-Tracy contre le bitumineux. « On tend à nous faire croire que c’est une maladie de s’occuper de son milieu. Ce qu’on fait, c’est de voir plus loin qu’une politique économique à court terme », dit-il. M. Robillard vient de prendre sa retraite. Il enseignait auparavant la géographie et l’écologie au secondaire. L’arrivée des superpétroliers l’a profondément heurté. « Je me considère comme un enfant du fleuve. Les bateaux passent en amont des îles de Sorel. C’est un joyau, un poumon du fleuve. C’est comme si on venait directement me menacer dans la cour chez nous. »
L’autre reproche qui revient concerne la crédibilité. Savent-ils vraiment de quoi ils parlent ? Lise Chartrand, de Gaspé, en est bien consciente. Cette professeure de cégep documente depuis des années le dossier pétrolier, en raison des ambitions de Pétrolia dans son coin de pays. « Il faut être prudent dans tout ce qu’on fait [...] Une erreur d’un écocitoyen, c’est impardonnable. »
Les gens comme elle « frôlent parfois l’épuisement », résume-t-elle. « Ce sont cinq heures par jour qu’on met là-dessus, en plus de notre travail, de notre famille. Mais on sait qu’on ne peut pas lâcher, parce que c’est chez nous et que, si on ne fait rien, il va être trop tard. »
Comme beaucoup d’écocitoyens en région éloignée, Mme Chartrand déplore le peu d’attention médiatique. À côté des Greenpeace de ce monde, elle note que des groupes comme le sien manquent de « visibilité ».
À l’autre bout du Québec, dans les Laurentides, Claude-Alexandre Carpentier a eu des appuis de taille dans son combat pour préserver le mont Kaaikop. La Fondation Suzuki, notamment, a choisi d’épauler sa cause.
Son groupe voulait empêcher les coupesforestières dans cette montagne vierge, la seconde en importance dans la région, après le mont Tremblant.
« Ç’a commencé en 2013. Je dirigeais la base de plein air qui se trouve à la base de lamontagne. On a appris, dans une réunion régulière de la MRC, que la montagne était visée par des coupes qui devaient commencer six mois plus tard. »
Après des mois de travail, ils ont réussi, en 2014, à obtenir une injonction pour empêcher les coupes et, pour l’instant, la montagne est intacte. Pourtant, la cause semblait entendue au départ. « On était devant le fait accompli. Le ministère nous disait qu’il n’y avait rien à faire. »
Ce discours, Pauline Rodrigue l’entend depuis des années dans Bellechasse. Propriétaire de terres agricoles dans le rang 8, à Armagh, elle subit depuis des années les impacts du site d’enfouissement technique qui a poussé à moins d’un kilomètre de sa terre.
Une trentaine de personnes s’inquiètent de la qualité de l’eau et surtout des odeurs de sulfure d’hydrogène. Des odeurs d’essence et de bitume brûlé parfois insupportables. « À Noël passé, ça sentait tellement fort que, quand la visite estarrivée, on a dû lui demander d’attendre avant de la laisser rentrer les valises dans la maison. »
Cette semaine, la MRC a proposé aux résidants de les indemniser de 2000 $ par an pour les désagréments. Le site joue un rôle crucial dans la région. C’est là qu’aboutissent lesdéchets de 33 municipalités des MRC de Bellechasse, Les Etchemins et Montmagny.
Mais Mme Rodrigue veut qu’il soit fermé. « La nature n’est pas capable d’absorber d’aussi gros sites d’enfouissement, dit-elle. Nous avons toujours cultivé biologique sur nos terres, alors c’est doublement insultant de se faire polluer à 600 pieds. »
Au départ, Mme Rodrigue était réticente à se faire photographier pour illustrer le reportage. Elle craignait qu’on lui prête à tort des prétentions de « vedette ». Elle a finalement accepté, pour donner le plus de visibilité possible au problème. Parce que le rang 8 d’Armagh est bien loin des lieux d’influence. « On commence juste à sortir ça d’Armagh. Notre problème, c’est qu’on est au fin fond d’une petite paroisse, avec peu de gens affectés. »