Musi-Café: les défis d’une seconde vie

Après plusieurs mois de construction, le nouveau Musi-Café ouvre se portes le 15 décembre.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Après plusieurs mois de construction, le nouveau Musi-Café ouvre se portes le 15 décembre.

Un an et demi après la catastrophe de Lac-Mégantic, le Musi-Café se prépare à rouvrir ses portes au public. Non sans peine. Son propriétaire Yannick Gagné raconte à quel point la reconstruction a été une épreuve.

« Il y en a qui pensaient que parce que je n’avais plus de bar, je ne faisais rien. Non, ça a été la pire année de ma vie. Il a fallu que je me débatte pour continuer », raconte le père de famille de 36 ans.

Sur les 47 victimes de l’explosion du train de la MMA, une trentaine d’entre elles ont péri dans son bar. On le sait : l’endroit est vite devenu un symbole. Il fallait surmonter l’horreur et reconstruire. Faire revivre la fête et la musique des belles soirées d’été à Lac-Mégantic.

Yannick Gagné dit qu’il s’est lancé dans la reconstruction « avec son coeur ». Parce que « c’était sa vie » et qu’il se l’est « fait demander ».

Mais la pression est là. « Tu veux livrer la marchandise, que les gens disent que c’est beau. » « Je veux pas que les gens arrivent et disent que c’était mieux dans l’autre. Si j’entends ça, ça va me tuer. Je connais les gens, ils sont attachés plus au passé qu’à autre chose, alors on va essayer de se dépasser. »

Le nouveau Musi-Café a été construit au coeur du nouveau quartier commercial, près du site de la catastrophe. C’est le premier bâtiment après le nouveau pont, près de la rivière.

Avec ses grandes fenêtres, il est beaucoup plus lumineux que le bar que Yannick Gagné avait ouvert en 2002 dans un immeuble appartenant à son père. Il a aussi beaucoup investi dans le son, la scène et les loges pour les artistes qui s’y produiront.

Car la véritable passion de Yannick Gagné, c’est la musique. Lui-même a chanté dans un groupe de rock quand il était plus jeune. Il rêve que le Musi-Café devienne une destination « incontournable » pour des musiciens de renom en format acoustique. « Un jour, je vais faire un spectacle. Il va y avoir 100 billets à 100 $ chacun. Je vais avoir 10 000 $ pour faire venir un artiste incroyable. » Il dit qu’il est « à la veille de le faire », qu’un artiste américain de réputation internationale « devrait venir jouer bientôt ».

Il voudrait que son bar soit réputé pour autre chose que la catastrophe. Mais il ne peut pas non plus faire comme si elle n’avait pas eu lieu.

Il y aura donc un mémorial pour les victimes sur l’un des murs du nouveau Musi-Café. Probablement avec leurs noms et une poutre sur laquelle les gens ont écrit des messages d’amour et d’espoir. Yannick Gagné répète que « c’est délicat ».

« Il faut faire ça respectueusement. Je ne veux pas qu’il y ait des familles de disparus qui pensent que je fais ça pour m’enrichir. Ça m’empêche souvent de dormir quand je pense à tout ça. Je sais qu’il y a des familles qui n’aiment pas ça. Ils ne me l’ont pas dit à moi, mais je l’ai lu sur Internet, et c’est venu à mes oreilles. Il y en a pour qui le Musi-Café, ça ne devrait plus exister. Ça représente la mort. »

D’ailleurs, il ne sait pas encore ce qu’il fera avec la petite caisse qu’ils ont trouvée dans les décombres. Toute cabossée, dégoulinante de pétrole, elle avait quand même préservé des liasses de billets et quelques papiers. À un certain moment, M. Gagné avait pensé l’inclure dans le mémorial, mais il ne sait plus. « Elle est dans le fond d’un garde-robe. À un moment, j’ai pensé aller changer l’argent à la caisse, puis en fin de compte, je me suis dit que pour ce que j’avais à dépenser dans le nouveau bar, c’était pas ça qui allait faire la différence. »

L’argent est au coeur de ses inquiétudes. Avant la catastrophe, les affaires allaient bien. Il avait pu lancer son bar sans gros passif dans un immeuble appartenant à son père. Or, cette fois, il recommence avec 600 000 $ de dettes et beaucoup plus de pression sur les épaules. C’est d’ailleurs le lot de beaucoup de commerçants du coin, dit-il.

« Oui, on retourne en affaires, mais on s’endette de plusieurs milliers pour les uns et de centaines de milliers pour d’autres, dont je fais partie. C’est pas un cadeau qui est tombé du ciel. Oui, on est mieux installés qu’avant, mais il va falloir le payer. »

Vivement le printemps

 

Il reconnaît que le gouvernement a beaucoup aidé, mais pas assez à son goût. « Après la tragédie, le gouvernement Marois avait dit qu’ils allaient nous remettre sur pied. Qu’on serait au moins aussi bien qu’avant. » Or, « c’est pas tout à fait ça », ajoute-t-il.

L’homme d’affaires n’avait pas non plus d’expérience de chantier et a été pris par surprise par les irritants administratifs liés aux constructions neuves et aux obligations découlant des subventions. Il dit que les visites des représentants de la CSST et de la Commission de la construction du Québec (CCQ) l’ont rendu fou. Et c’était sans compter les exigences imposées par la ville pour son projet.

Mais le pire est derrière lui. Aujourd’hui, il reçoit les médias pour la conférence de presse de réouverture. Le personnel est en rodage depuis samedi et le bar rouvrira ses portes lundi le 15. Pour de bon.

Les prochaines semaines s’annoncent stressantes, alors Yannick Gagné se projette dans la prochaine saison. « J’ai hâte au printemps. Il fait beau. On va commencer à préparer la terrasse. Les serveuses vont commencer à connaître leur travail. On va s’en aller vers du beau. »

Yannick Gagné en cinq dates

17 juin 1978 Naissance à Sainte-Marguerite de Lingwick, un petit village près de Lac-Mégantic.

25 mars 2002 Ouverture du bar Musi-Café.

Juin 2007 Yannick Gagné vend le Musi-Café, puis le rachète en janvier 2009.

6-7 juillet 2013 Explosion du train de la MMA rempli de pétrole en plein coeur du village.

15 décembre 2014 Réouverture du bar à un nouvel endroit.


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