Chantiers Davie - Cette fois c'est la bonne?
Québec — Avec un nouveau propriétaire et la promesse de gros contrats de la Défense nationale, tous les espoirs semblent permis pour les Chantiers Davie. Or le passif de l’entreprise est bien lourd et, malgré sa longue histoire, elle devra faire ses preuves pour qu’on ose à nouveau y croire
Interrogé sur les bonnes nouvelles des derniers jours, le porte-parole de la Chambre de commerce de Lévis, Jérôme Gaudreault, refusait hier d’employer le terme «jubiler». «On est contents, c’est sûr. Mais en même temps, dans la population, le sentiment c’est: “On va le croire quand on va le voir.”»«Ces dernières années, les gens ne sont pas montés aux barricades pour Davie autant qu’il y a 15-20 ans. Il y a eu des déceptions et Davie va devoir refaire sa crédibilité.»
Le sort du chantier fondé en 1825 est devenu une sorte de triste running gag dans la grande région de Québec, où on le cite surtout comme exemple pour critiquer le soutien abusif de l’État à certaines entreprises.
Selon une compilation du chroniqueur de QMI Michel Munger, les Chantiers Davie ont reçu pas moins de 2 milliards de dollars en fonds publics depuis 40 ans. À l’inverse, on estime à environ 8 milliards les contrats que le nouveau groupe Upper-Lakes-Davie pourrait obtenir de la Défense nationale au cours des prochains mois.
La totalité des fonds inclus dans la Stratégie nationale d’approvisionnement en matière de construction navale (SNACN) prévoit des investissements de 35 milliards. Or, jeudi, le nouveau propriétaire de Davie a fait savoir qu’il avait soumissionné pour la portion non militaire du programme (brise-glaces, bateaux scientifiques), soit environ 8 milliards en investissements pour moins de navires à construire, mais de plus grande taille.
Personne au Québec ne semble douter du fait que Davie-Upper-Lakes obtiendra sa part du magot, notamment en raison de la taille du chantier Davie, le plus gros au pays. Maintenant que l’ontarienne Upper-Lakes s’est associée au Québec, seulement deux autres chantiers sont dans la course: Irving Shipbuilding de Halifax et Vancouver. Or, comme l’explique le président du syndicat des employés de Davie, Paul-André Brûlotte, Halifax est pressentie pour la réalisation du lot de contrats militaires et la SNACN prévoit qu’un seul chantier ne peut obtenir les deux lots. Quant à Vancouver, dit-il, «ils ont une grosse cale sèche, mais elle n’est pas située dans ce chantier-là». Néanmoins, les avis sont plus partagés ailleurs au Canada. Hier, le Chronicle Herald de Halifax avançait, lui aussi, qu’Irving était pressentie pour le lot militaire, mais citait une source fédérale selon laquelle le contrat civil irait à Vancouver plutôt qu’à Davie.
Problème de main-d’œuvre
S’ils vont au Québec, les contrats de la Défense pourraient régler un problème récurrent dans l’histoire des Chantiers Davie: le manque de stabilité. Souvent, dans le passé, des analystes ont déploré l’absence au Canada d’une politique de construction navale à long terme, ce dont le gouvernement fédéral vient précisément de se doter.
À l’inverse, les lucratifs contrats d’Ottawa peuvent faire figure de cadeau empoisonné, si on se fie au passé. L’entreprise lévisienne a déjà construit des navires de guerre pour le fédéral et ça s’est mal terminé, raconte M. Brûlotte. «On a fait des bateaux de guerre entre 1987 et 1994. On s’est concentrés là-dessus alors, quand ç’a été fini, on n’était plus reconnus nulle part à l’international. Il n’y avait aucune démarche qui se faisait pour aller chercher des contrats à l’extérieur.» Davie a souvent peiné à être concurrentielle sur les marchés internationaux. Outre les contrats du public, il ne se passait pas grand-chose sur le chantier. «Les autres [propriétaires], ils venaient faire les contrats, mais ils n’investissaient pas dans les chantiers. Et une fois que les contrats étaient faits, ils s’en allaient.»
En revanche, le nouvel acquéreur a plaidé cette semaine qu’il entendait exploiter le chantier même si Davie n’obtenait pas les contrats fédéraux. Et beaucoup ont été rassurés d’apprendre qu’Upper Lakes avait conclu une entente avec Cecon — l’un des deux principaux clients de Davie — pour compléter la construction de ses navires, ce qui permettrait aux employés de reprendre le travail d’ici la fin de l’année, quoi qu’il advienne du côté d’Ottawa.
Au plus fort de son activité, au tournant des années 1980-1990, le chantier comptait près de 3000 travailleurs. Or, depuis qu’elle s’est mise sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers, l’entreprise compte moins d’une trentaine d’employés. Avec les contrats du fédéral, on estime maintenant que jusqu’à 1500 personnes pourraient reprendre du service.
La main-d’œuvre risque toutefois de causer des maux de tête à l’entreprise. Bien des observateurs font valoir que les meilleures ressources de Davie ont quitté le navire depuis belle lurette. M. Gaudreault reconnaît qu’il y a là un défi et que beaucoup d’employés «se sont replacés». Or, ajoute-t-il, si Davie offre les meilleures conditions sur le marché, «ça pourrait contribuer au rappel des travailleurs».
Le gouvernement critiqué
Jeudi, la principale concurrente de Davie, Denise Verreault, des Chantiers Verreault, des Méchins, disait justement craindre que Davie ne siphonne toutes les ressources dans le domaine, où on doit déjà composer avec une pénurie de main-d’œuvre. Mme Verreault est furieuse de l’aide donnée par le gouvernement du Québec à Davie et fait valoir que le prix payé par Upper Lakes pour acquérir les actifs de l’entreprise est bien modeste (28 millions) quand on sait qu’Investissement Québec avait déjà engagé pareille somme dans sa relance. Et ce n’est pas tout puisque le ministre du Développement économique, Clément Gignac, a annoncé jeudi qu’il était prêt à prêter jusqu’à 18,7 millions supplémentaires au nouveau groupe.
Le gouvernement du Québec a souvent été critiqué pour sa gestion du dossier Davie. Dans un rapport interne de la Société générale de financement (SGF) rendu public par Le Soleil en 2004, on avançait que le désastre financier subi par l’entreprise au début des années 1990 aurait pu être évité si la SGF et le gouvernement avaient mieux analysé le dossier. À cette époque aussi, la vente des actifs de l’entreprise s’était faite dans la précipitation.
Par ailleurs, le gouvernement aurait à composer avec d’autres difficultés s’il laissait sombrer Davie. Devant le juge chargé d’autoriser la vente cette semaine, le contrôleur de Davie, Pierre Laporte, de Deloitte, a plaidé que le gouvernement s’exposerait notamment à des dépenses importantes pour trouver une nouvelle vocation au site et le faire décontaminer. Il serait naïf, disait-il en substance, de croire qu’un promoteur privé puisse accepter d’assumer ce genre de dépenses.
Tout en soulignant qu’il avait déjà travaillé, dans le passé, sur le dossier de la Gaspésia, il a fait valoir que Davie était un cas différent parce qu’il y avait là une chance réelle de relance. «On parle de 35 milliards de dollars. Il ne gagnera pas tout, mais quand même plusieurs milliards», a-t-il répété.