Boulevard Saint-Laurent à Montréal - Feu orange pour le Red Light

Le double projet immobilier conçu pour rénover le secteur historique et mythique du boulevard Saint-Laurent à Montréal a passé les dernières semaines sous observation critique. Les appuis ne manquent pas, les critiques non plus, et il ne reste plus qu'à obtenir les autorisations officielles pour lancer le chantier.
La Société de développement Angus (SDA) n'avait pas «paqueté» sa belle grande salle, juré craché, mais c'était tout comme, hier matin, pour manifester un appui ferme au projet de construction situé à l'intersection de Sainte-Catherine et Saint-Laurent, au centre du coeur de la cité. Christian Yaccarini, président de la SDA, a commencé la défense et l'illustration de son bébé de quelque 180 millions au total en égrenant la liste des soutiens représentés officiellement dans l'assemblée, une bonne douzaine d'organismes au total, dont le Monument-National, Culture Montréal, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, l'Équipe Spectra, Le Théâtre du Nouveau Monde, Tourisme Montréal et le Collectif des entreprises d'insertion du Québec.«Le projet allie, je dirais, les solidaires et les lucides», a commenté le président Yaccarini, en reprenant la nouvelle appellation décrivant la droite et la gauche au Québec. «C'est même un des rares projets où on trouve des solidaires et des lucides ensemble. C'est un projet qui fait consensus et dont on a besoin à Montréal. Est-ce qu'il est parfait? Probablement pas. Est-ce qu'il est perfectible? Sûrement. Et il va le demeurer jusqu'à la fin. Mais il va falloir qu'on tranche à un moment donné, collectivement, et qu'on se dise qu'on le fait.»
La SDA défend bec et ongles ses plans pour chacun des côtés du boulevard: la vitrine culturelle (le 2-22, selon les anciennes adresses civiques) d'environ 16 millions du côté sud-est; le quadrilatère de 165 millions sur la portion ouest. Le premier abritera des organismes artistiques et la billetterie du Quartier des spectacles. Le second, des commerces équitables au rez-de-chaussée et des centaines de fonctionnaires d'Hydro-Québec sur une douzaine d'étages.
Le Quadrilatère pose problème
Les projets ont passé au crible critique de l'Office de consultations publiques de Montréal (OCPM) au cours des dernières semaines, les deux dernières datant de jeudi. Au total, le 2-22 ne pose pas trop de problèmes, alors que la partie semble plus difficile pour le Quadrilatère. Le promoteur perçoit très bien la menace. «Après l'échec du Casino de Montréal, nous risquons de vivre un autre échec à Montréal, soit celui de la revitalisation du boulevard Saint-Laurent, a-t-il écrit pour convoquer la presse hier matin. Et s'il y a un secteur de la ville qui est une véritable honte et qui a besoin d'une revitalisation, c'est bien ce secteur.»
La reconnaissance de cette triste réalité a semblé être largement partagée aux audiences. Seulement, une fois le diagnostic posé, il reste encore à juger la cure proposée.
Les architectes, silencieux jusqu'ici, sont montés au front cette semaine pour décrier la solution concoctée par le tandem Paul Andreu + Aedifica. «Je considère ce projet comme incongru, par rapport à la valeur patrimoniale de ce secteur, a dit cette semaine le professeur Jaques Lachapelle, de l'École d'architecture de l'UdeM, en attaquant le Quadrilatère. C'est un projet de façadisme.»
Le façadisme conduit à ne préserver que la vitrine, la façade des immeubles anciens, pour y accoler de nouvelles constructions. Le quartier général de Rio Tinto-Alcan à Montréal est conçu sur ce modèle. Les architectes du Quadrilatère proposent effectivement de ne conserver que les vieilles façades de pierre du boulevard.
Pire encore, Jacques Lachapelle a jugé que l'architecture proposée s'avère indéfendable, même dans une perspective de façadisme. «Il cherche à se démarquer et non à s'ancrer dans le contexte», a-t-il lancé, suscitant des applaudissements dans la salle.
Anne Cormier, cofondatrice de l'atelier Big City et directrice de l'École d'architecture de l'UdeM, n'a pas été plus tendre pour le projet, tout en développant moins ses idées. Elle a répété la «forte charge» culturelle et symbolique de la Main, pour finalement parler d'une «opération de stérilisation» qui offrirait peu d'intérêt.
«Le projet ne contribuera pas à améliorer le boulevard, mais il va plutôt le banaliser», a dit la professeure Cormier, réclamant «du temps pour juger» puisque l'architecture en réclame.
«Ma suggestion principale, c'est d'approfondir, a-t-elle ajouté. Je ne doute pas de la capacité de l'équipe de concepteurs à développer un projet contemporain de qualité. À mon avis, la validation de celui-ci demeure essentielle et il n'est pas encore achevé.»
Manque de temps
Dans son propre témoignage, Dinu Bumbaru, directeur des programmes du groupe Héritage Montréal, qui défend le patrimoine de la ville depuis plus de trente ans, a aussi demandé du temps pour raffiner les plans de la revitalisation attendue depuis des décennies. Il s'est étonné de voir déposer des documents modifiant la proposition architecturale à l'intérieur du processus de consultations. Il a même regretté le mandat de gré à gré donné pour réaliser ces constructions, dans une ville qui lance par ailleurs des concours pour décider du design du mobilier urbain.
Du temps, la SDA nie en disposer. «L'Office a sa légitimité complète, mais qu'il arrive en bout de processus, ça crée un problème, a dit le président Yaccarini en répondant à toutes ces critiques et à bien d'autres encore. Dans le cas du 2-22, on pourrait retarder de six mois. C'est triste pour les locataires, mais on pourrait le faire. Dans le cas du Quadrilatère Saint-Laurent, il y a un momentum et il faut savoir le prendre. L'entente que nous avons avec Hydro-Québec fait en sorte qu'il faut partir la production au mois de janvier 2010. Ceux qui nous disent de retarder de six mois arrivent trop tard. On a reçu des commentaires positifs, constructifs. On va les prendre et les intégrer, mais il va falloir que les élus tranchent.»
Lui-même a tranché pour le sort du café Cléopâtre, le dernier du genre dans l'ancien Red Light de Montréal, à la réputation sulfureuse. Aux audiences, le propriétaire du bar et des locataires de ses espaces pour la présentation de soirées coquines ont réclamé de pouvoir demeurer sur place, dans des espaces rénovés, histoire de conserver un peu du génie polisson dans ce lieu licencieux.
Cuisiné gentiment par les journalistes, Christian Yaccarini a fini par révéler que la SDA avait offert 2,5 millions au Bar du secteur, aussi miteux que mythique. «Nous allons trouver un autre lieu pour ces artistes, a dit Christian Yaccarini, en faisant référence aux cabarets burlesques qui louent de temps en temps le Cléopâtre. Mais notre concept ne veut pas intégrer des danseuses nues. C'est un choix du propriétaire que nous assumons pleinement.»
Le rapport de l'OCPM, portant notamment sur les demandes de dérogations en hauteur, est attendu à la mi-août. Le conseil municipal devrait trancher en septembre, alors que la campagne électorale tournera à plein régime...