Griffintown: pas de tramway, pas de projet

Le développement résidentiel et commercial de Griffintown pourrait être compromis si le projet public de tramway ne prend pas forme rapidement. En entrevue au Devoir, le président de Devimco, Serge Goulet, promoteur de Griffintown, prévient que le soutien financier de 10 millions qu'il a offert à la Ville de Montréal pour la réalisation de la première phase de tramway devant traverser le Vieux-Montréal, Griffintown et le quartier des affaires est limité dans le temps.

«Les 10 millions ne sont pas disponibles pour les trois prochaines générations. Je ne gèlerai pas ça à la banque. Je l'ai dit aux gens de la Ville. Ils ont grimacé un peu. Moi, c'est sur la table pour 24 mois. Vous devez m'arriver avec un transport collectif, tramway ou autre, adéquat, avec une fréquence correcte. Et on veut quelque chose de sexy!», a affirmé Serge Goulet.

Comme l'explique le promoteur immobilier, le tramway n'est ni plus ni moins que la colonne vertébrale de son projet, un investissement privé de 1,3 milliard de dollars sur dix ans. Griffintown est un secteur industriel décrépit situé au sud-ouest du centre-ville, à la porte d'entrée du canal de Lachine. Ce quartier est actuellement complètement enclavé, loin du métro et des circuits d'autobus. Le transport collectif apparaît donc comme incontournable pour le développement de Griffintown selon la vision de Devimco.

«Notre projet pourrait être compromis s'il n'y a pas de transport collectif. [...] C'est essentiel dans notre projet. C'est un moyen de transport, mais c'est aussi un véhicule de développement. On est le trait d'union entre le Vieux-Montréal et le quartier des affaires», explique M. Goulet pour qui l'idée plaide en faveur du développement durable.

En contrepartie des réclamations de Devimco en matière de transport collectif, la Ville de Montréal a exigé que le promoteur réduise de façon importante le nombre de stationnements. Or les stationnements sont un élément important de la rentabilité potentielle du projet, souligne Serge Goulet.

«La Ville ne veut pas de stationnement, OK, mais ça prend du transport en commun. [...] Si on parle de consensus, c'est un échange et des compromis réciproques. Ce n'est pas un monologue», souligne-t-il.

Les experts embauchés par Devimco, la firme d'urbanisme Daniel Arbour et le Groupe IBI de Toronto, ont évalué les coûts de la première phase du tramway à 70 millions. La Société du havre de Montréal les avaient estimés de façon préliminaire à 38 millions.

Le retour du tramway dans la métropole, qui a été mis au rancart en 1959, est prévu dans le plan de transport présenté par la Ville de Montréal en mai dernier. Quatre circuits y sont proposés dont l'un partirait de la station de métro Berri-UQAM, circulerait sur la rue de la Commune dans le Vieux-Montréal et remonterait la rue Peel. Ce dernier segment traverse le projet Griffintown de Devimco. Cependant, le quotidien The Gazette présentait la semaine dernière les trois chantiers prioritaires pour Montréal parmi les vingt et un que compte le plan de transport, et le tramway n'en ferait pas partie. Dans l'immédiat, le prolongement vers l'est de la ligne bleue du métro, les autobus sur Pie IX et une navette reliant le centre-ville à l'aéroport Trudeau, à Dorval, recevraient l'appui de l'équipe du maire Tremblay.

Si le président de Devimco se montre réfractaire à l'établissement de circuits d'autobus qui pourraient être mis en place en lieu et place d'un tramway, il se dit toutefois ouvert à la possibilité que les autorités montréalaises instaurent plutôt un trolleybus. Il s'agit d'un véhicule propulsé par l'électricité, comme le tramway, mais roulant sur des roues plutôt que sur des rails, comme un autobus. Cela pourrait représenter, selon Serge Goulet, une option plus flexible, moins chère et ayant une capacité motrice plus importante pour monter les côtes. De plus, les voitures des trolleybus pourraient être livrées plus rapidement, croit-il.

Mais il ne faut pas y voir un intérêt particulier de la firme Bombardier dans ce dossier, soutient Serge Goulet en réaction à ce que The Gazette publiait il y a quelques jours. La fiducie familiale du p-.d.g. de Bombardier, Laurent Beaudoin, est l'un des trois financiers du projet avec le fonds de retraite des employés de la Ville de Québec et le fonds de retraite des employés de la Société de transport de Montréal. «C'est n'importe quoi!», lance Serge Goulet qui fait valoir que ce genre de contrat est mineur pour Bombardier (environ une dizaine de voitures) et que, de toute façon, «il y a une muraille de Chine entre Bombardier Transport et la fiducie familiale de M. Beaudoin».

Chose certaine, pour Serge Goulet, le temps compte. D'ici quelques semaines, l'arrondissement du Sud-Ouest enclenchera une consultation publique, malgré le fait que l'ampleur du projet relevant de la ville centrale aurait justifié que l'Office de consultation publique de Montréal soit mis à contribution. Les audiences porteront sur le plan particulier d'urbanisme (PPU) pour le secteur de Griffintown. Mais, dans les faits, c'est le projet précis de Devimco qui sera débattu.

Le promoteur privé bénéficie d'un traitement unique de la part de la Ville de Montréal. Habituellement, la municipalité établit un PPU pour un secteur, ce qui implique de déterminer les interventions publiques et privées souhaitées selon des critères très précis. Les projets des promoteurs sont développés à partir de ce canevas.

Pour Griffintown, c'est l'inverse. Le PPU répond plutôt aux attentes de Devimco qui travaille sur son projet depuis trois ans. Après une rencontre avec le maire Gérald Tremblay et certains membres du comité exécutif en juin dernier, un groupe de travail (formé de fonctionnaires et de représentants de Devimco) a été mis en place pour raffiner le projet, mais aussi pour établir la stratégie pour qu'il puisse voir le jour. «Le call du maire a été: "organisez-vous pour vous entendre pour novembre 2007"», se rappelle le président de Devimco. À partir de là, des rencontres ont eu lieu avec une trentaine d'organismes communautaires. «Ces consultations ont permis d'ajuster le projet, mais aussi de rédiger le PPU», affirme M. Goulet.

Outre le PPU fait sur mesure pour Devimco, la Ville de Montréal a utilisé tous les outils publics à sa disposition pour servir les intérêts du promoteur privé. La semaine dernière, Montréal a émis un avis de réserve foncière pour le secteur de Griffintown. Ce mécanisme stoppe toutes les transactions immobilières en cours, limite les investissements sur les bâtiments au strict minimum et pourrait permettre à la Ville de procéder à l'expropriation d'éventuels propriétaires récalcitrants. Devimco n'a acheté aucun terrain ou édifice jusqu'à maintenant. Par contre, il a entre les mains plusieurs ententes avec des propriétaires, précise Serge Goulet.

À la suite des audiences publiques menées par l'arrondissement du Sud-Ouest, M. Goulet s'attend à ce que le PPU soit adopté dès avril par le comité exécutif et le conseil municipal. À partir de là, Devimco compte une année pour établir les plans et les devis précis du projet. La construction de la première phase durera deux ans; les premiers résidants de Griffintown devraient donc emménager en 2011 et emprunter le nouveau tramway pour se rendre chez eux, espère Serge Goulet.

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