Loi 101 et bilinguisme - Yves Michaud riposte
Québec — Yves Michaud n'a guère apprécié que le codirecteur d'un ouvrage commandité par le Conseil supérieur de la langue française (CSLF), qui réclame une nouvelle politique favorisant le plurilinguisme au Québec, dénonce sa «vision passéiste».
Dans un article publié hier dans nos pages, l'historien et ancien secrétaire du Conseil de la langue française, Alexandre Stefanescu, qui a dirigé avec Pierre Georgeault, directeur de la recherche au CSLF, la publication de l'ouvrage collectif Le français au Québec - Les nouveaux défis, s'en prenait à l'interprétation alarmiste que font certains, dont Yves Michaud et le statisticien Charles Castonguay, de la situation du français à Montréal, déplorant «la vision passéiste» de M. Michaud et consorts.Presque 30 ans après l'adoption de la loi 101, le Québec doit revoir ses politiques linguistiques afin de tenir compte du bilinguisme et même du plurilinguisme de ses citoyens, recommandent M. Stefanescu ainsi que plusieurs auteurs de l'ouvrage.
Hier, M. Michaud a déclaré que M. Stefanescu a une «vision jovialiste» de la situation du français au Québec. «L'opinion personnelle des chantres castrés du bilinguisme et du multiculturalisme ne trouble guère mon sommeil», a-t-il affirmé au Devoir.
Le démolinguiste Michel Paillé, chercheur associé à la chaire Hector-Fabre de l'UQAM et qui a travaillé 22 ans au CSLF, et Gérald Larose, ex-président de la Commission des états généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec, ont pris la défense de M. Michaud.
«Dans notre société, on dirait qu'on a besoin d'un bouc émissaire. Actuellement, le pelé et le galeux, c'est M. Michaud. On s'en sert à toutes les sauces pour démoniser, en même temps que lui, les purs et durs de la langue, les souverainistes de tout acabit. Pourtant, Stefanescu a travaillé longtemps pour René Lévesque, c'est un souverainiste. Il se trouve à cracher en l'air [en s'attaquant à M. Michaud]. Je trouve ça inélégant», a livré M. Paillé au cours d'un entretien téléphonique.
Gérald Larose estime que M. Michaud a raison de s'inquiéter de la situation du français à Montréal. «C'est vrai que ça glisse, à tous les points de vue et surtout au niveau de la langue de travail. Les lieux de travail se "réanglicisent". L'affichage aussi. C'est très fragile», a-t-il dit.
Yves Michaud énumère sept problèmes qui affectent le français au Québec.
Le français langue de travail est dans «un état de délabrement et de déshérence». Le gouvernement Charest a «scalpé» les budgets alloués à la francisation des immigrants. Il note que la minorité anglophone, qui représente 8 % de la population du Québec, assimile 55 % des élèves et étudiants issus de l'immigration. Dans une quinzaine d'années, le français sera en minorité à Montréal. M. Michaud dénonce aussi la décision du gouvernement d'enseigner l'anglais dès la première année du primaire. Enfin, il relève que de moins en moins d'immigrants au Québec proviennent de pays latins, au profit des immigrants dits anglotropes, qui ont une forte tendance à s'assimiler à la minorité anglophone.
«On défonce une porte ouverte»
Commentant la prise de position des auteurs de l'ouvrage en faveur du plurilinguisme, M. Paillé estime qu'«on défonce une porte ouverte». Il souligne que «ce bilinguisme et ce multilinguisme se font naturellement». Il rappelle aussi qu'en 1977, Camille Laurin insistait beaucoup sur le fait que la loi 101 n'avait pas pour objectif d'inciter les Québécois à rester unilingues français. Réfractaire au bilinguisme institutionnel, le père de la loi 101 préconisait l'apprentissage individuel des langues.
Il faut être prudent avec les taux de bilinguisme tirés du recensement. Il s'agit d'une autoévaluation, rappelle M. Paillé. Les gens se disent bilingues ou non. Il est possible que les anglophones québécois qui se disent bilingues — plus nombreux que les francophones — soient moins exigeants en ce qui a trait à leur connaissance de la langue seconde, donc plus portés à s'affirmer bilingues. Or l'Office de la langue française a toujours refusé de financer une étude pour évaluer la véritable connaissance de la langue seconde chez les Québécois. «Si on compare les anglophones du Québec avec les francophones de l'Ontario, on se rend compte que les anglophones québécois ne font pas le poids» pour ce qui est de la connaissance qu'ils ont de la langue de la majorité, a signalé le chercheur.
M. Paillé se montre aussi critique des experts qui considèrent comme des francophones tous ceux qui, la plupart du temps, choisissent le français comme langue d'usage public, ainsi que le proposent MM. Stefanescu et Georgeault. M. Paillé rappelle que l'indice de la langue d'usage public, mis au point par le chercheur Paul Béland pour le compte du Conseil de la langue française en 1999, a vu sa méthodologie taillée en pièces par au moins quatre chercheurs. La réalité des allophones, souvent trilingues, est complexe et varie d'une personne à l'autre. «On ne peut pas enfermer quelqu'un dans une définition, surtout en matière de langue. Ça n'a pas d'allure», prévient Michel Paillé.