Des consultations aux airs de «dîner de cons» pour la réforme Drainville

La réforme Drainville est pilotée par un « politburo » et les consultations du ministre sur son projet de loi ont eu des airs de « dîner de cons », ont dénoncé lundi les oppositions, dans la foulée de révélations sur un comité confidentiel en éducation.
« Je ne peux pas croire qu’au Québec, on doive apprendre par une demande d’accès à l’information qu’il y a un comité de huit personnes qui se penche sur l’éducation de 1,3 million d’enfants », a lancé la députée libérale Marwah Rizqy.
Sa collègue de Québec solidaire, Ruba Ghazal, a dit craindre que des membres de ce comité soient plus tard placés à la tête de l’Institut national d’excellence en éducation (INEE) que souhaite créer le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville.
Mme Rizqy et Ghazal réagissaient à un texte du Devoir, qui a révélé samedi que le ministère de l’Éducation a mandaté en 2021 huit experts afin qu’ils fournissent des « avis ad hoc et confidentiels » sur le réseau de l’éducation, dont certains sont au coeur de la réforme Drainville.
Mme Rizqy a dit avoir du mal à comprendre que certains membres de ce comité aient pu venir s’exprimer en commission parlementaire au sujet de la réforme, et ce, sans mentionner leur appartenance passée à un comité dont certaines conclusions ont été reprises dans le projet de loi.
« J’ai l’impression qu’on a été conviés à un dîner de cons », a-t-elle déploré. Elle estime que les chercheurs ont fait preuve de « malhonnêteté intellectuelle » en n’étant pas transparents.
Les membres du Comité sur les résultats scientifiques et le milieu scolaire (CRSMS) ont été rémunérés à la hauteur de 18 000 $ par année, à l’exception de deux d’entre eux, qui ont refusé d’être compensés financièrement pour leur travail. Sachant cela, « à plus forte raison, ils auraient dû tout simplement dénoncer leur apparence de conflit d’intérêts ou leur biais », estime Mme Rizqy.
Sollicitée à ce sujet, l’attachée de presse de M. Drainville a fait savoir que « jamais le ministre n’a demandé à qui que ce soit de cacher des choses lors des consultations ». D’ailleurs, il ne connaissait « pas la liste des membres de ce comité, ni son mandat », a écrit Florence Plourde.
Les travaux pour le projet de loi 23 se sont toutefois basés, en partie, sur les avis et recommandations du CRSMS. Le ministre en a rencontré trois membres — Martin Maltais, Monique Brodeur et Marie-Dominique Taillon — au cours de la dernière année. Mais ces rencontres « étaient en lien avec la fonction que ces gens occupaient au sein de différentes organisations du milieu scolaire », a poursuivi Mme Plourde.
Manque de transparence
En entrevue, Mme Rizqy a précisé que le manque de transparence de certains chercheurs « n’enlève rien » à la qualité de leur recherche, mais en « enlève beaucoup à [leur] crédibilité » au sujet de la réforme. « J’ai l’impression qu’on a essayé de nous en passer une petite vite », a-t-elle glissé. « À la demande de qui c’est aussi opaque ? Est-ce que c’est à la demande du ministre ? »
Au Parti québécois, le député Pascal Bérubé s’en est pris aux méthodes de Bernard Drainville. « On sait maintenant ce que le ministre de l’Éducation veut dire par données probantes : l’avis de quelques professeurs et fonctionnaires triés sur le volet afin de conforter ses propres opinions. Le projet de loi 23 donne un bel exemple de biais de confirmation. C’est le politburo du ministre qui a piloté la réforme Drainville », a-t-il lancé.
Dans une conversation précédant la publication du texte du Devoir, M. Bérubé avait dénoncé le choix des intervenants reçus au parlement lors des quatre périodes d’étude du projet de loi 23. « Le ministre Drainville prétend s’appuyer sur des données et sur la science pour faire avaliser son projet de réforme. Dans les faits, comme on l’a vu pendant les consultations, l’idée qu’il se fait de la recherche en éducation est celle d’un petit panel d’experts dont il est proche », avait-il déclaré.
L’attachée de presse du ministre a plutôt rappelé que 24 intervenants ont été entendus en commission parlementaire, et 40 mémoires reçus. « Donc, non, nous n’avons pas fait l’économie d’une discussion sur le projet de loi ! », a écrit Mme Plourde au Devoir.
Des postes promis ?
Ruba Ghazal a elle aussi dit « avoir du mal » à s’expliquer les raisons pour lesquelles l’existence du CRSMS est demeurée cachée.
« S’il [le ministre] crée l’INEE [l’Institut national d’excellence en éducation], j’ai l’impression que les personnes de ce comité-là vont en faire partie, vont être à la tête de l’INEE », a-t-elle aussi déclaré. Elle a demandé au ministre Drainville « d’avoir l’ouverture d’esprit d’être exposé à différents chercheurs, qui ont différentes approches » au sujet de la réussite scolaire.
Dans leurs entretiens avec Le Devoir, des membres du CRSMS ont minimisé l’influence du comité sur la réforme Drainville. Ils ont notamment fait valoir le fait que le projet d’INEE a suscité des réflexions chez plusieurs ministres de l’Éducation au fil des ans et a reçu l’appui de divers chercheurs. Ils ont aussi dit ne pas avoir cru bon mentionner leur appartenance au comité lors de leur passage en commission parlementaire ou au moment de publier des lettres d’appui au projet d’INEE.
Le ministère de l’Éducation a été sollicité au sujet du comité mercredi dernier, mais n’avait toujours pas répondu à nos questions cinq jours plus tard.