Une vingtaine de villes bilingues au Québec jugent abusive la loi 96

Aux yeux de 23 municipalités détenant un statut bilingue, certaines dispositions de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (« loi 96 ») briment leurs droits et ceux de leurs citoyens anglophones. Dans un recours déposé en Cour supérieure, ces villes demandent au tribunal d’invalider les articles qui permettent aux inspecteurs de l’Office québécois de la langue française (OQLF) d’accéder à des documents dans les bureaux municipaux et au gouvernement de les priver de leurs subventions s’il juge qu’elles ont contrevenu à une disposition de la loi.
Les municipalités ont fait bloc pour déposer une demande de révision judiciaire et jugement déclaratoire devant la Cour supérieure. Plusieurs d’entre elles font partie de l’agglomération de Montréal, dont Côte-Saint-Luc, Beaconsfield et Westmount, mais d’autres sont situées dans diverses régions du Québec, comme Blanc-Sablon, Stanbridge East ou New Carlisle.
Elles ont beau être en faveur de la protection de la langue française, elles estiment que la loi 96 comporte des articles qui accordent un pouvoir démesuré au gouvernement et à l’OQLF. « Pour promouvoir la langue française, Québec devrait avoir recours à des stratégies positives, et non à des actions punitives », a fait valoir le maire de Côte-Saint-Luc, Mitchell Brownstein, lors d’une conférence de presse mercredi, en compagnie de plusieurs de ses collègues.
Dans leur recours, les villes contestent l’obligation qui leur est imposée d’adopter une résolution afin de conserver leur statut bilingue si moins de la moitié de leur population a l’anglais comme langue maternelle. Au Québec, 48 villes ont adopté une telle résolution. Mais ce que soutiennent ces villes, c’est que la loi est trop restrictive et devrait plutôt baser son exigence sur la langue parlée à la maison et non la langue maternelle des citoyens.
À titre d’exemple, à Dollard-des-Ormeaux, 71 % de la population utilise d’abord l’anglais à la maison, mais selon Statistique Canada, seulement 45,2 % de la population a l’anglais comme langue maternelle.
Saisies trop poussées
Les municipalités contestent aussi les articles encadrant les inspections qui peuvent être réalisées par l’OQLF. Ces dispositions permettent notamment à un inspecteur d’entrer dans les bureaux d’une municipalité et d’avoir accès au contenu d’un ordinateur ou de tout autre appareil électronique. Or, les villes peuvent avoir en leur possession des documents contenant des informations sensibles ou confidentielles qui sont protégées par la Loi d’accès aux documents d’organismes publics, font-elles valoir.
Me Julius Grey, qui représente les villes dans leur recours, souligne que rien dans la loi n’indique que les inspecteurs ont besoin d’un mandat pour réaliser de telles saisies. « Ce sont des pouvoirs que même la police ne possède pas », dit-il.
Sur son site Internet, le ministère de la Langue française assure toutefois qu’« en aucun moment, l’OQLF ne fait ni ne fera de fouilles, de perquisitions et de saisies. »
Les municipalités contestent également la validité de l’article de la loi 96 qui permet au ministre de la Langue française de retenir toute subvention à une ville s’il juge que celle-ci n’a pas respecté un élément de la Charte de la langue française. Maire de Beaconsfield, Georges Bourelle juge que le droit de veto que détient le ministère de la Langue française n’est pas justifié.
Mesures concernant les fonctionnaires
Les villes estiment que le tribunal devrait invalider l’article qui les oblige à sanctionner un fonctionnaire qui aurait enfreint une disposition de la loi. Un employé qui ne parle pas suffisamment bien français pourrait faire l’objet d’une mesure disciplinaire, a déploré Steven Erdelyi, conseiller municipal à Côte-Saint-Luc.
Parmi les autres éléments, les maires citent l’obligation pour les municipalités de rédiger tous ses contrats en français. Pour Dale Roberts-Keats, mairesse de la petite municipalité de Bonne-Espérance, sur la Côte-Nord, qui compte 700 habitants, cette disposition concernant les contrats est un non-sens. « C’est absurde que pour notre municipalité où 99 % de la population a l’anglais comme langue première, nous ne puissions pas rédiger des contrats avec nos fournisseurs locaux en anglais », a-t-elle dit.
Le recours regroupe 23 municipalités, mais le maire Mitchell Brownstein espère que d’autres villes se joindront au mouvement.