Le nord du Québec sur le qui-vive

« Avec le personnel actuel, on peut couvrir environ 40 feux, mais il y en a 150 », a rappelé mercredi le premier ministre François Legault.
Jacques Boissinot La Presse canadienne « Avec le personnel actuel, on peut couvrir environ 40 feux, mais il y en a 150 », a rappelé mercredi le premier ministre François Legault.

Québec pourrait manquer d’ici une semaine de pilotes d’avion-citerne pour lutter contre les incendies de forêt, qui ont fait plus de 11 000 évacués jusqu’ici.

« Plus le temps va avancer, plus il va y avoir des défis pour [recruter] les pilotes et les mécaniciens », a déclaré mercredi matin le premier ministre François Legault.

Il a rappelé que les pilotes devaient obligatoirement se reposer après un certain nombre d’heures de vol et que les appareils devaient être inspectés. « Il n’y a pas de manque de pilotes actuellement, mais au bout d’une semaine, il va y avoir des enjeux, effectivement », a-t-il prévenu.

Le chef du gouvernement faisait le point au sujet des feux de forêt qui font rage au Québec. La situation s’est résorbée sur la Côte-Nord, mais M. Legault demeure préoccupé par le Nord-du-Québec et l’Abitibi, où la ville de Senneterre a commencé à être évacuée.

Au total, 11 400 personnes ont dû quitter leur résidence, « mais on pense en ajouter 4000 » en évacuant Mistissini, dans le Nord-du-Québec, a déclaré le premier ministre. Il a dit espérer mettre sur pied un plan d’évacuation qui « fait l’affaire, aussi, de [cette] communauté crie ».

Or, en fin d’après-midi, le chef de Mistissini, Michael Petawabano, a recommandé aux membres de la communauté de rester à la maison. « Il n’y a pas de danger, nous sommes en sécurité, a-t-il répété à la radio. [Monsieur] Legault ne dirige pas notre communauté, nous le faisons. »

Dans son point de presse, François Legault a aussi dit garder la ville de Chapais à l’oeil. À 19 h, l’évacuation y demeurait volontaire mais fortement recommandée pour les gens à la santé fragile.

Au sujet des évacués, le premier ministre a affirmé qu’il valait mieux être « réaliste » et ne pas envisager de retour à la maison avant au moins « cinq ou six jours ».

« On ne prévoit pas de pluie importante avant lundi soir prochain », a-t-il lancé, désolé.

Des vents favorables ont permis à Chibougamau de souffler un peu, mercredi. « Je n’ai pas de boule de cristal, mais [le retour à la maison] ne sera certainement pas avant samedi », a toutefois indiqué la mairesse Manon Cyr en après-midi.

Photo: Francis Vachon Le Devoir En soirée mercredi, l'aréna municipal de Roberval accueillait une centaine de personnes, qui ont dû évacuer leur résidence.
Photo: Francis Vachon Le Devoir

En attendant, les évacués de Chibougamau trouvent refuge dans la générosité de Roberval. Son maire, Serge Bergeron, a lui-même consacré sa nuit à assembler des lits de camp et à rassembler les denrées nécessaires, du café jusqu’aux couches, pour subvenir aux besoins des déplacés.

L’aréna municipal accueillait encore une centaine de personnes en soirée. Parmi eux : Jean-Claude Potvin, 71 ans et les paupières alourdies par deux jours sans sommeil.

« Je travaillais de jour mardi et je n’ai pas dormi depuis l’évacuation », a expliqué l’homme. Allongé sur un lit de camp, Stéphane Mailhot, 67 ans, assurait que le repos serait salutaire. « On va bien dormir, cette nuit », a-t-il raconté en tapotant la surface dure de son matelas.

Manque de bras

Les feux ont jusqu’ici ravagé 460 000 hectares de forêt. « Dans l’histoire de la SOPFEU — dans les 50 dernières années —, la pire année, on l’a dépassée à ce moment-ci », a souligné la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina. « C’est une situation que nous n’avons jamais vue. »

Pour l’instant, 11 des 13 avions-citernes de la SOPFEU fonctionnent. Une compagnie de Yellowknife a fourni deux autres appareils, tandis qu’une entreprise américaine en a prêté quatre. Sur terre, la SOPFEU compte 520 employés actifs. « C’est 520 paires de “bottes à cap”sur le terrain », a résumé M. Dugas.

Avec le concours du Nouveau-Brunswick, de la France, des États-Unis, du Portugal, de l’Espagne et du Mexique, le gouvernement aimerait faire augmenter ce nombre à 1200 personnes, a précisé M. Legault.

« Avec le personnel actuel, on peut couvrir environ 40 feux, mais il y en a 150 », a-t-il rappelé.

Le premier ministre a par ailleurs annoncé que son gouvernement travaillait sur un programme de compensation financière pour les évacués. L’objectif, a-t-il dit, est de « couvrir toutes les dépenses extraordinaires que vous avez eues ».

Ottawa prêt à aider

La ministre fédérale de la Défense, Anita Anand, a indiqué mercredi que son gouvernement se tenait prêt à envoyer d’autres militaires, dont des pilotes d’avion, si Québec lui en fait la demande.

Environ 300 militaires ont aussi été dépêchés sur la Côte-Nord, notamment pour assurer la logistique et l’acheminement de nourriture à la population. Un navire de la réserve navale, le NCSM Jolliet, sert de base aux opérations.

Le premier ministre Justin Trudeau a convenu que le Canada allait devoir « réfléchir à comment s’équiper pour cette nouvelle réalité », dans laquelle les événements météorologiques extrêmes risquent d’être plus fréquents et plus coûteux.

Avec Boris Proulx

Une « véritable priorité nationale »

En matinée, à l’Assemblée nationale, les partis d’opposition ont souligné que des débats sur la lutte contre les changements climatiques s’imposeront une fois l’urgence passée.

« Il y a un lien causal direct avec les changements climatiques, a lancé le chef intérimaire libéral, Marc Tanguay. Le gouvernement n’a toujours identifié que 60 % des mesures pour atteindre ses objectifs [de réduction des gaz à effet de serre]. »

Gabriel Nadeau-Dubois, de Québec solidaire, a dit souhaiter que le printemps 2023 marque un « tournant » qui fera de l’adaptation aux changements climatiques une « véritable priorité nationale ». « Je déteste jouer les bonshommes Sept-Heures, mais je pense qu’il faut être honnête avec les Québécois. Le printemps qu’on vient de vivre […], c’est la nouvelle normalité », a-t-il déclaré.

Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a suggéré qu’une fois l’urgence passée, les élus prennent le temps de débattre de la planification de l’adaptation aux changements climatiques. « La population est en droit de s’attendre à des élus qui planifient et réfléchissent à l’avance plutôt que d’être en mode réaction », a-t-il affirmé.

L’Assemblée nationale a par ailleurs adopté une motion de Québec solidaire qui demande au gouvernement « de s’engager à augmenter la capacité d’intervention de la SOPFEU ».

Marie-Michèle Sioui



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