Les députés sont-ils en conflit d’intérêts quand ils débattent de leur salaire?

Le fait que les députés débattent de leur propre salaire peut soulever des enjeux relatifs aux conflits d’intérêts, soutient la commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale, Ariane Mignolet.
« Il est possible de constater que la situation actuelle des députées et députés qui débattent et se prononcent sur leurs propres conditions de travail semble soulever des questionnements notamment au regard des règles générales relatives aux conflits d’intérêts depuis un certain temps déjà », indique la commissaire dans une lettre envoyée en réponse à une demande du député solidaire Vincent Marissal et dont La Presse canadienne a obtenu copie.
M. Marissal a écrit à la commissaire le 24 mai dernier pour lui demander de se pencher sur le fait qu’il pourrait potentiellement être en conflit d’intérêts lorsqu’il a participé aux débats sur le projet de loi 24 qui fera passer le salaire des députés de 101 561 $ à 131 766 $.
Elle dit toutefois ne pas pouvoir rendre d’avis sur cette question précise, car elle concerne les 125 députés de l’Assemblée nationale.
« On a un maudit problème »
La commissaire indique cependant que le débat sur le salaire des députés soulève des enjeux relatifs aux conflits d’intérêts par rapport aux articles 15 et 16 du « Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale ».
L’article 15 indique qu’un « député ne peut se placer dans une situation où son intérêt personnel peut influencer son indépendance de jugement dans l’exercice de sa charge ».
L’article 16 affirme qu’un député ne peut pas « agir, tenter d’agir ou omettre d’agir de façon à favoriser ses intérêts personnels. De la même façon, il ne peut se prévaloir de sa charge pour influencer la décision d’une autre personne aux mêmes fins ».
« Rappelons que les articles 15 et 16 du Code sont des dispositions phares en matière de conflits d’intérêts », écrit Mme Mignolet dans sa lettre.
« Ce qu’elle dit c’est qu’on a un maudit problème avec la façon dont on fait ça en regard des articles 15 et 16 […] Je constate un certain malaise de sa part », soutient Vincent Marissal en entrevue avec La Presse canadienne.
Changer la manière de faire ?
« Il a été évoqué à plusieurs reprises […] que le fait pour les parlementaires de déterminer eux-mêmes leurs conditions de travail comporte un risque réel de conflits d’intérêts », écrit Ariane Mignolet dans sa missive.
La commissaire à l’éthique rappelle qu’elle et son prédécesseur, Jacques Saint-Laurent ont tous deux suggéré l’implantation d’un comité indépendant et décisionnel pour déterminer les conditions de travail des députés dans des rapports.
« J’ai moi-même réitéré l’importance de prévoir un mécanisme indépendant à cet égard, lequel’ “permettrait de respecter pleinement les règles déontologiques inscrites au Code […], et renforcerait la confiance des citoyens envers leurs élus” », écrit-elle dans sa lettre.
Dans son rapport de 2019, Mme Mignolet recommandait que « l’Assemblée nationale envisage la création d’un comité indépendant permanent doté de pouvoirs décisionnels en matière de conditions de travail des députés ».
« À ce sujet, j’ai invité les parlementaires à étudier ce rapport et à se pencher sur les recommandations qui y sont formulées, incluant celle relative à l’établissement des conditions de travail des députés, justement afin d’éviter que ce type de réflexion se tienne en plein coeur d’un débat législatif sur la question », écrit-elle dans sa lettre.
Mme Mignolet souligne également que le rapport, dont s’inspire le gouvernement pour hausser le salaire des députés, pointe l’enjeu de l’éthique lié au fait que les députés déterminent leurs propres conditions de travail.
Dans ce rapport, on indique que « la question d’apparence de conflit d’intérêts demeure un enjeu chaque fois que les conditions de travail des députés sont discutées […]. La création d’un comité permanent ayant pour mandat de revoir périodiquement les conditions de travail des parlementaires pourrait sans aucun doute amoindrir cet enjeu et permettre aux parlementaires de conserver une plus grande distance avec cette question ».
« Le projet de loi met en oeuvre le rapport d’un comité indépendant dont les recommandations deviennent exécutoires », a répliqué par écrit le cabinet du leader parlementaire du gouvernement, Simon Jolin-Barrette, lundi en soirée.
Mme Mignolet n’a pas souhaité accorder d’entrevue à La Presse canadienne.