Plus d’immigrants pour éviter une «louisianisation» ici ?

L’un des deux « scénarios » de seuils d’immigration permanente pour 2024-2027 retenus par le premier ministre François Legault a de quoi surprendre les électeurs inquiets de la perspective « un peu suicidaire » d’accueillir plus de 50 000 immigrants économiques par année ou encore de la « louisianisation » d’un Québec ne détenant pas tous les pouvoirs de sélection des immigrants.
Après avoir mis en garde les électeurs contre les dangers d’un rehaussement du seuil d’immigration, le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ) s’est dit prêt jeudi à accueillir plus de 60 000 immigrants permanents par année — une hausse de 20 % —, pourvu que ceux sélectionnés par le Québec maîtrisent presque tous la langue française.
« Je m’attends à avoir la question : “M. Legault, vous avez dit [que] plus de 50 000 [immigrants permanents par année], ça serait suicidaire.” Bien, ça serait suicidaire pour l’avenir du français. Mais à partir du moment où on est capables — puis il y a une réelle ouverture de la part du gouvernement fédéral — de dire [que] l’augmentation, c’est seulement des francophones ou des gens qui maîtrisent le français, ça vient complètement changer la situation », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse dans la salle Evelyn-Dumas du parlement, jeudi après-midi.
Même si elle était dépouillée de ses panneaux en plexiglas, la scène rappelait les points de presse quotidiens, à 13 h et des poussières, sur la situation de la pandémie de COVID-19. Le premier ministre a même « lancé un appel aux Québécois » à coups d’« ensemble » et d’« on est capables », comme il le faisait lorsque le coronavirus semait le désordre. « Tous les Québécois ont le devoir de protéger le français, puis je suis convaincu qu’ensemble, on est capables de renverser la tendance puis de s’assurer que nos enfants puis nos petits-enfants continuent de vivre au Québec en français », a-t-il affirmé solennellement, assis entre les ministres Christine Fréchette (Immigration, Francisation et Intégration) et Jean-François Roberge (Langue française).
Les immigrants peuvent contribuer à l’épanouissement de la langue française au Québec, a-t-il dit.
La titulaire de la Chaire de recherche en politique de l’immigration de l’Université Concordia, Mireille Paquet, a observé un « certain changement de ton » de la part de François Legault — même si, fixés à 60 000 immigrants en 2027, « les seuils resteraient quand même bas si on les compare à ce qui se fait dans le reste du Canada » —, mais surtout son « désir de recadrer l’action de la CAQ en matière d’immigration », à qui l’opposition reproche d’avoir perdu le contrôle de l’immigration temporaire.
Cela dit, « le discours » des caquistes au gouvernement est bien « différent » de celui qu’ils répètent en campagne électorale. « La CAQ est très stratégique. Si, lors d’une période électorale, ils considèrent qu’ils peuvent gagner des segments électoraux en mobilisant la question immigratoire, ils vont le faire. Mais lors d’une période de gouvernance, la réalité, c’est qu’ils ne doivent pas gérer les électeurs, mais les parties prenantes », note Mireille Paquet.
« Dans trois ans, ils pourront toujours, pendant la période électorale, recommencer avec des discours [du type] “l’immigration, un danger…” » ajoute la professeure de l’Université Concordia, tout en rappelant que « la CAQ s’est élevée » dans les sondages d’opinion « en trouvant vraiment les meilleurs clivages à aller mobiliser dans la population ». « C’est un parti de courtage, c’est-à-dire que ce n’est pas un parti qui a une idéologie claire », souligne-t-elle.
En donnant son appui à « une augmentation prudente et graduelle des seuils au cours des quatre prochaines années » — expression de Christine Fréchette —, François Legault contribuera-t-il à désamorcer un tant soit peu la charge politique du thème de l’immigration ?
« Difficile à dire », répond Martin Papillon, professeur au Département de science politique de l’Université de Montréal. « Legault est en partie responsable de la surenchère actuelle, mais il n’est pas le seul. Ces questions continueront certainement d’être mobilisées et débattues. Cela est là pour rester, selon moi, car le réalignement partisan et idéologique sur ces questions est fort », poursuit-il.
Le directeur du Centre de recherche sur les politiques et le développement social estime que « la bonne chose à faire » est de « calmer le jeu » en maniant un discours politique liant identité et immigration, mais sans « associe[r] toute forme d’immigration à un danger existentiel pour la nation ».
Enfin, la CAQ « ne peut se permettre de laisser au PQ le champ libre sur cette question “identitaire” », ajoute-t-il, décrivant le Parti québécois (PQ) de Paul St-Pierre Plamondon comme le « principal — et seul — adversaire pouvant infliger des dommages électoraux » à la CAQ pour l’instant.