Québec veut imposer le français aux immigrants économiques

Le premier ministre François Legault jeudi, lors d’une conférence de presse à grand déploiement avec sa ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, et son ministre de la Langue française, Jean-François Roberge
Photo: Karoline Boucher La Presse canadienne Le premier ministre François Legault jeudi, lors d’une conférence de presse à grand déploiement avec sa ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, et son ministre de la Langue française, Jean-François Roberge

Dans son offensive pour préserver le français, le gouvernement Legault favorisera une immigration principalement francophone, en obligeant tous les immigrants économiques à maîtriser la langue. Il envisage aussi d’augmenter les seuils à 60 000 nouveaux arrivants par an.

C’est ce qu’a annoncé le premier ministre François Legault jeudi, lors d’une conférence de presse à grand déploiement avec sa ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, et son ministre de la Langue française, Jean-François Roberge.

Pour l’instant, le Québec a une cible d’accueil de 50 000 immigrants par année. L’an dernier, le chef caquiste avait affirmé qu’il n’était « pas question » de la dépasser et avait même dit en campagne électorale qu’il « serait un peu suicidaire » de l’augmenter.

Le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) met désormais deux options sur la table, qui seront étudiées durant les consultations publiques cet automne. S’il va de l’avant avec son scénario à la hausse, il fera grimper les seuils d’environ 10 000 nouveaux arrivants d’ici 2027.

Par le biais d’un projet de règlement, il exigera par ailleurs que l’ensemble des immigrants économiques admis au Québec parlent français. « Évidemment, je m’attends à avoir la question : “M. Legault, vous avez dit que plus que 50 000, ce serait suicidaire” », a lancé le premier ministre en conférence de presse, jeudi. « Bien, ça serait suicidaire pour l’avenir du français. Mais à partir du moment où on est capables […] de dire que l’augmentation, c’est seulement des francophones, ça vient complètement changer la situation. »

Des réformes majeures

 

Des réformes majeures des programmes d’immigration permanente déjà existants ont été proposées. En plus d’alléger les critères pour les diplômés du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), le gouvernement Legault exigera l’atteinte d’un niveau de français minimal pour tous les travailleurs qualifiés.

« Pour la première fois dans l’histoire du Québec, les candidats à l’immigration économique [devront avoir] une connaissance du français. On va exiger une connaissance du français à l’oral, mais dans certains cas à l’écrit », a déclaré la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), Christine Fréchette.

Exit le Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ), il sera désormais remplacé par le Programme de sélection des travailleurs qualifiés. Divisé en quatre volets, ce programme, qui n’aura plus recours à la grille de pointage, élargira la gamme de professions admissibles à la sélection permanente, soit des travailleurs hautement qualifiés à moins qualifiés, en passant par les professions réglementées et les « talents d’exception ».

Fait inédit, les niveaux de français exigés seront aussi modulés selon les volets, ce qui était une demande du milieu des affaires, a rappelé la ministre Fréchette. Par exemple, un travailleur qualifié, comme un designer graphique, devra avoir un niveau 7 en français oral et un niveau 5 à l’écrit. Une préposée aux bénéficiaires ou un camionneur n’auront qu’à prouver l’obtention d’un niveau 5 à l’oral et à l’écrit.

En raison de la grille de pointage qui était au coeur de la sélection du PRTQ, des immigrants qui ne parlaient pas du tout français pouvaient quand même se qualifier. Ce ne sera plus le cas, a assuré la ministre Fréchette.

 

Les futurs investisseurs et entrepreneurs voulant s’installer au Québec devront aussi faire la preuve qu’ils détiennent un niveau 7 en français et qu’ils ont séjourné temporairement au Québec pendant un certain temps.

Quant au PEQ, il sera encore modifié et reviendra pratiquement à sa version initiale, avant que Simon Jolin-Barrette ne procède à une réforme en 2019, qui avait suscité un tollé. Désormais, les diplômés n’auront plus à détenir l’expérience de travail exigée ni l’obligation d’être en emploi au moment de la demande. Ils devront toutefois avoir étudié dans un établissement postsecondaire francophone, sauf exception.

« Il faut miser sur les étudiants qui viennent chez nous », a dit la ministre Fréchette.

Un scénario de hausse

 

Si Québec adopte le scénario d’une hausse des seuils, il ne fixera pas de plafond dans l’accueil des diplômés passés par le PEQ. Le nombre effectif d’immigrants accueillis annuellement pourrait donc grimper davantage. Ceux-ci étaient de 8000 en 2021, mais avaient radicalement chuté à 2000, soit quatre fois moins, avait révélé Le Devoir.

L’option à 60 000 n’est pas sans risque, selon le MIFI. Dans son cahier de consultation rendu public en matinée, Québec convient qu’il s’engagerait sur un fil de fer en choisissant de s’éloigner du statu quo.

« Malgré le manque de main-d’oeuvre constaté dans plusieurs domaines, une augmentation annuelle des niveaux d’immigration ne doit pas entrer en conflit avec la capacité d’accueil et l’intégration en français au Québec », précise-t-on dans le document déposé jeudi par la ministre.

Interrogé à savoir s’il cédait aux pressions du milieu des affaires et des partis d’opposition qui souhaitait augmenter les seuils, M. Legault a affirmé qu’une seule raison lui permettait de rompre avec ses propos passés : « Le fédéral est ouvert à ce qu’on augmente seulement l’immigration économique, qu’on contrôle. »

Or, l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration lui donne déjà ce droit. « Moi, je suis très surpris d’entendre le premier ministre nous dire que, soudainement, les discussions avec le fédéral sont à l’effet qu’on peut augmenter [l’immigration] économique », a lancé le porte-parole de Québec solidaire en matière d’immigration, Guillaume Cliche-Rivard, lors d’un point de presse à Québec jeudi. « Ça fait très longtemps qu’on le sait qu’on peut tout à fait augmenter notre seuil économique sans avoir la permission du fédéral. » En plus de déplorer l’absence de mesures concrètes pour la régionalisation, le député constate également que la ministre fait « marche arrière » sur le Programme de l’Expérience québécoise. « [Elle] désavoue la réforme Jolin-Barrette sur le PEQ étudiant », a-t-il dit.

Les temporaires évacués

 

Le critique en matière d’immigration du Parti libéral du Québec, Monsef Derraji, a, lui, reproché au gouvernement Legault d’évacuer toute une proportion d’immigrants de son analyse : les temporaires. À la fin 2022, ils étaient 300 000. « Ces personnes utilisent les mêmes services que les permanents : logements, services publics, garderies, [services de] santé », a-t-il dit.

Le député du Parti québécois Pascal Bérubé s’inquiète pour sa part pour l’impact de ces résidents non permanents sur le français. « Quel était le slogan à l’origine ? “En prendre moins, mais en prendre soin.” Maintenant : “En prendre beaucoup plus, et on n’en parle plus” », a-t-il illustré.

François Legault s’est justifié jeudi en soutenant qu’il s’agit là d’une première étape. Au début du mois, le premier ministre François Legault avait émis son désir de rehausser les exigences de maîtrise de la langue de Molière pour les immigrants tant permanents que temporaires. « Pour l’instant, le gouvernement du Québec n’exige pas la connaissance du français [des immigrants temporaires]. Donc, il y a encore de la place pour agir. Ce sera dans une deuxième étape », a dit le chef du gouvernement jeudi.

Les réformes majeures des programme d’immigration en bref

Exit le PRTQ, bonjour le PSTQ

Le Programme régulier des travailleurs qulaifiés (PRTQ) devient le Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ). Les immigrants ne devront plus se qualifier à travers une «grille de pointage».

Français exigé pour tous

Le français devient une exigence incontournable, peu importe le programme d’immigration économique, sauf pour les talents d’exception (scientifiques de renom, athlètes de haut niveau, etc.) le niveau 7 sera exigé la plupart du temps mais pourra être modulé dans certains cas.

Un niveau modulable

C’est le cas du volet 2 du PSTQ, réservé aux personnes dans des emplois demandant des compétences intermédiaires et manuelles, qui exigera un niveau 5 à l’oral et à l’écrit. Le gouvernement Legault crée ainsi une passerelle pour les travailleurs étrangers temporaires peu spécialisés, après les avoir exclus des voies d’accès en 2018.

Niveau 7 ou 5

Sur les 12 niveaux de l’Échelle québécoise des niveaux de compétences en français d’une personne immigrante adulte, le niveau 7 permet à un individu de fonctionner sans aide et sans connaître un sujet. Une personne ayant un niveau 5 cherche encore ses mots et ne peut que discuter de sujet de son choix.

Retour au PEQ d’avant Jolin-Barrette

L’expérience de travail post-diplôme de 12 ou 18 mois ne sera plus nécessaire pour le volet «diplômés» du Programme de l’expérience québécoise (PEQ). Il sera également réservé à ceux qui fréquentent un établissements francophone, à moins de faire la preuve qu’on a étudié en français au préalable pendant trois ans.



À voir en vidéo