Petit guide pour comprendre la réforme Dubé

Une travailleuse de la santé marche dans un passage couvert reliant deux bâtiments d'un hôpital de Montréal, le mardi 17 août 2021, durant la pandémie de COVID-19.
Photo: Graham Hughes archives La Presse canadienne Une travailleuse de la santé marche dans un passage couvert reliant deux bâtiments d'un hôpital de Montréal, le mardi 17 août 2021, durant la pandémie de COVID-19.

Le projet de loi 15 sur la nouvelle agence Santé Québec promet d’être le plat de résistance de cette saison parlementaire. Mais avec ses mille et quelques articles et tous les enjeux qu’il soulève, il ne s’annonce pas très digeste. Petit guide en dix morceaux pour s’y retrouver.

Qui va rendre des comptes en cas de négligence dans un hôpital ?

Étant donné que le ou la p.-d.g. de l’agence sera responsable de la gestion des activités de tout le réseau, la logique voudrait que cela tombe dans sa cour. Et si les médias interpellent le ministre de la Santé malgré tout, on peut s’attendre à ce qu’il les renvoie à cette personne. C’est pour cela que l’opposition libérale à l’Assemblée nationale dit que le ministre de la Santé, Christian Dubé, s’est « fabriqué un bouclier anti-imputabilité ».Des critiques auxquelles le principal intéressé n’a pas répondu directement. Mais ses propos passés laissent croire que la gestion de crise n’est pas son volet préféré de la fonction de ministre. « C’est le fun d’éteindre des feux et de régler des urgences, mais moi, je ne suis pas là pour ça », avait-il lancé lors de la crise à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, en janvier.

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Ce texte est publié via notre section Perspectives.

Est-ce vrai qu’on va augmenter le nombre de cadres dans le réseau ?

Oui. Parce que le gouvernement Legault veut nommer des patrons dans chacune des 1540 installations du réseau (du CLSC jusqu’à l’hôpital). Durant la pandémie, l’absence de responsables dans des résidences pour aînés, comme Herron, a convaincu le gouvernement qu’il avait besoin de répondants partout dans le réseau. Il s’agit de tout un retour de balancier, puisque le gouvernement avait éliminé plus de 1000 postes de cadres lors de la réforme Barrette en 2015. À l’époque, la majorité d’entre eux avaient alors pris leur retraite de façon anticipée. Reste à savoir d’où viendront ces nouveaux cadres et combien seront issus du ministère, dont 40 % du personnel sera appelé à être déplacé dans le cadre de la réforme.

Pourquoi le gouvernement se vante-t-il de décentraliser ?

Le gouvernement dit qu’il « décentralise » parce que, comme on l’a dit plus haut, il va nommer des patrons à la tête de toutes les installations actuellement sous l’autorité des CISSS et des CIUSSS (CHSLD, hôpitaux, CLSC, etc.). Mais on ne sait pas jusqu’à quel point ces gestionnaires auront du pouvoir. Le gouvernement « installe des exécutants partout sur le territoire, des gens qui vont obéir aux ordres du p.-d.g. de Santé Québec », dénonçait cette semaine Québec solidaire. Par ailleurs, Christian Dubé avance qu’il décentralise en transférant des responsabilités du ministère vers la future agence. La « petite équipe » de gestionnaires de l’agence, promet-il, aura beaucoup d’autonomie. Enfin, ses critiques estiment qu’il centralise en forçant les syndicats locaux à se regrouper (de 136 à 4) pour qu’ils négocient avec un seul employeur (l’agence plutôt que les CISSS et CIUSSS).

Est-ce que le projet de loi est trop gros pour être adopté avant l’été ?

Probablement. Le projet de loi compte plus de 1000 articles et, en théorie, chacun d’entre eux peut faire l’objet d’un long débat en commission parlementaire. À titre de comparaison, le projet de loi 59 sur la santé et la sécurité au travail a nécessité près de 200 heures de débat pour trois fois moins d’articles. En plus, les députés de l’opposition ont déjà indiqué qu’ils voulaient prendre le temps de bien étudier le projet de loi. Questionné là-dessus, le ministre Dubé a dit que ce serait « tout un succès » de l’adopter avant l’été et qu’il y avait beaucoup de redites et de recoupements à faire dans les articles du projet de loi. Mais beaucoup de choses peuvent se produire : un report des travaux à l’automne, la scission du projet de loi en plusieurs parties et même le recours au bâillon, qui est toujours une option pour un gouvernement majoritaire.

Dans combien de temps pourrait-on ressentir les effets de la nouvelle loi ?

Pas avant quelques années. En plus des travaux au Parlement sur le projet de loi, le gouvernement va devoir s’entendre avec les médecins spécialistes sur les modalités du nouveau modèle, un processus à durée indéterminée. En outre, la mise sur pied de l’agence doit passer par plusieurs étapes : mise en place d’un « comité de transformation », nomination d’un conseil d’administration et d’un ou d’une p.-d.g. Il faudra aussi compter six mois de délai avant que toutes les installations soient intégrées à l’agence. Enfin, le regroupement des syndicats locaux va nécessiter une période de maraudage (au cours de laquelle les travailleurs peuvent décider de changer de syndicat).

Est-ce que c’est un cheval de Troie pour le privé en santé ?

C’est ce que craignent certains experts. « On est en train de construire le squelette » d’un éventuel « réseau parallèle » sans lui imposer de limites comme la « notion de projet-pilote », déplorait jeudi dans Le Devoir le Dr Joseph Dahine. François Béland, coauteur du livre Le privé dans lasanté. Les discours et les faits, craint, de son côté, que le projet de loi 15 donne au ministre de la Santé le pouvoir d’autoriser les médecins à exercer à la fois au public et au privé, ce qui est actuellement interdit. Il y a un mois, le gouvernement a lancé deux appels d’intérêt pour créer deux mini-hôpitaux privés à Québec et Montréal dans le but de réduire la pression sur les urgences et de faire baisser les listes d’attente.

Est-ce vrai que les médecins spécialistes refusent de travailler la nuit ?

Certains peut-être, mais pas tous. Dans les jours précédant le dépôt du projet de loi, des sources gouvernementales avaient indiqué aux médias que la réforme visait à forcer les médecins spécialistes à faire des quarts de travail les moins intéressants à l’urgence. La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) a réagi en soutenant qu’il était faux d’affirmer que ses membres délaissaient les hôpitaux à compter de 16 h. « Ils sont mobilisés pour assurer des gardes 24 heures sur 24 afin de prendre soin de leurs patients. Laisser entendre le contraire montre une grande méconnaissance de notre travail et de notre quotidien », avait affirmé son président, Vincent Oliva. Ce dernier a toutefois reconnu cette semaine que « certains médecins, dans certaines spécialités, pourraient en faire plus ». 

Est-ce que les syndicats d’infirmières perdront de l’argent ?

Oui. Mais on ignore dans quelle mesure cela pèse sur leurs revendications. Le projet de loi va faire passer le nombre d’accréditations syndicales de 136 à 4. Chacune d’elles a du personnel responsable du soutien aux membres et de la négociation qui est libéré par l’employeur. Des ressources qui vont disparaître si la réforme va de l’avant. Il faut aussi tenir compte du fait que le passage de 136 à 4 accréditations va faire disparaître certains syndicats locaux. Dans le nouveau système, il n’y aurait plus qu’un syndicat par catégorie d’employés (pour les infirmières, pour le personnel de bureau, pour les professionnels et pour la catégorie englobant les préposés). Actuellement, ça dépend des régions. Par exemple, les infirmières du Saguenay sont représentées par la FIQ, mais sur la Côte-Nord, c’est la Centrale des syndicats du Québec qui joue ce rôle.

Combien la réforme Dubé va-t-elle coûter au gouvernement ?

Pas particulièrement cher, selon le gouvernement. La seule dépense prévue sont les 60 millions réservés dans le dernier budget à la mise en place de l’agence sur deux ans. Le ministre Dubé a aussi assuré que la rémunération des médecins spécialistes ne coûterait pas plus cher, même si certains seront amenés à donner plus de temps. « Non, parce qu’en ce moment, on ne dépense pas toute l’enveloppe qui leur a été donnée », a-t-il répondu au Devoir lors de la présentation du projet de loi. Dans le budget de cette année, la santé pèse 52,8 milliards de dollars, soit 43 % de l’ensemble des dépenses du gouvernement.

Est-ce vraiment le plus gros projet de loi déposé à l’Assemblée nationale ?

Non, mais presque. À la demande du Devoir, l’équipe de recherche de la Bibliothèque du Parlement a trouvé au moins trois autres projets de loi encore plus longs. Toutefois, ils sont particulièrement techniques et ne portent pas sur la santé. C’est le cas de la réforme du Code civil de 1990 (3144 articles) déposée par Gil Rémillard, d’un autre volet de la même réforme du Code civil de 1985 (1423) et du projet de loi 12 sur la refonte du Code de procédure pénale, également de 1990 (1258). À titre de comparaison dans le domaine de la santé, la Loi sur la régie de l’assurance maladie de 1969 comptait seulement 43 articles.

Glossaire

Agence  L’agence Santé Québec doit naître de la scission en deux morceaux du ministère de la Santé. Elle gérerait les activités et le ministère, les orientations. Elle est dirigée par un p.-d.g. nommé par le gouvernement.

Établissements  Il s’agit des 21 Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) régionaux ainsi que de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik et du Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James. Cette catégorie inclut aussi les grands instituts de santé (cardiologie de Montréal, Pinel, etc.) et certains grands hôpitaux comme le CHUM, Sainte-Justine et le CHU de Québec.

Installations  Tout lieu physique qui offre des services de santé et des services sociaux au Québec (CLSC, hôpitaux, CHSLD, centres jeunesse, centres de réadaptation, etc.). On en recense 1540.

Accréditation syndicale  Elle réfère aux 136 organisations syndicales actuellement reconnues comme représentantes officielles des travailleurs. Cette reconnaissance leur confère le droit de négocier en leur nom auprès des négociateurs de l’État.



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