Le prix de l’eau décuplé pour alimenter le Fonds bleu

Les compagnies privées qui pompent l’eau douce des lacs et des rivières du Québec pourraient bientôt devoir payer des redevances dix fois plus élevées. Ces nouveaux revenus appuieraient la création du nouveau Fonds bleu promis par la Coalition avenir Québec (CAQ) en campagne électorale.
Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a déposé jeudi à l’Assemblée nationale le projet de loi 20 « instituant le Fonds bleu et modifiant d’autres dispositions ». Celui-ci prévoit la révision tous les cinq ans des redevances imposées aux entreprises qui prélèvent l’eau du Québec et crée, comme le nom l’indique, le Fonds bleu, une promesse phare de l’équipe de François Legault en campagne électorale l’an dernier.
Depuis 2010, les entreprises qui prélèvent l’or bleu du Québec, pour embouteillage ou non, doivent payer des redevances totales d’environ 3 millions de dollars par année. « On la donne, notre eau », a déploré le ministre Charette, jeudi, après avoir présenté son nouveau texte législatif au Salon bleu.
Plus tôt cette année, l’élu caquiste s’était engagé à rehausser « significativement » ces tarifs. Chose promise, chose due. En plus de son projet de loi, M. Charette prépare un nouveau règlement pour augmenter la valeur des redevances de 900 %.
« Pour les utilisateurs qui utilisent l’eau sans la capter », le taux par million de litres passe de 2,50 $ à 35 $. « Ceux qui captent en partie cette eau-là » voient leur facture par million de litres grimper de 70 $ à 150 $. Les embouteilleurs, eux, voient cette redevance monter jusqu’à 500 $ le million de litres.
Si les choses avancent comme prévu, les principales dispositions du nouveau règlement entreraient en vigueur le 1er janvier prochain. « On passe de 3 millions de dollars à 30 millions, s’est réjoui le ministre de l’Environnement jeudi. Clairement, en Amérique du Nord, on devient de loin les leaders en la matière. »
L’objectif, en fin de compte : réduire la consommation d’eau québécoise. « Ce serait presque une bonne nouvelle qu’on fasse moins d’argent avec les redevances que les 30 millions qui sont escomptés parce que ça voudra dire qu’il y a un changement de comportement important qui a été fait », a indiqué M. Charette.
Nouveau Fonds bleu
S’il est adopté, le projet de loi 20 lancera officiellement le Fonds bleu, « notamment affecté au financement de toute mesure que le ministre […] peut réaliser en lien avec la protection, la restauration, la mise en valeur et la gestion de l’eau ». Il fera aussi en sorte de « prohiber ou de limiter certains usages de l’eau ».
Dans son budget déposé à la mi-mars, le ministre des Finances, Eric Girard, avait réservé 500 millions de dollars pour la création du Fonds bleu. L’augmentation des redevances, indexée à 3 % annuellement et modifiable tous les cinq ans, financera en partie ses activités.
Où est passée l’enveloppe de 650 millions de dollars promise en campagne électorale ? « On est à une première année d’un nouveau mandat. Moi, j’étais déjà très heureux d’avoir 500 millions de dollars de confirmés. Mais vous allez voir, au gré des budgets, c’est des sommes qui vont être majorées. Et on est fermes sur l’engagement qui a été pris », a soutenu M. Charette jeudi.
Lever le secret et interdireles bouteilles en plastique
Le ministre de l’Environnement ne s’arrête pas simplement à la hausse des redevances. Le règlement qu’il soumettra prochainement doit permettre de lever le secret sur les quantités d’eau pompées par le privé à même le territoire du Québec.
La Cour du Québec avait décidé l’an dernier d’interdire la publication de ces informations pour protéger le « secret commercial ». Le ministre Charette s’était depuis engagé à intervenir pour revoir le cadre législatif.
Les compagnies qui utilisent l’eau des aqueducs aux fins d’embouteillage commercial sont par ailleurs en voie de disparition. Le projet de loi 20 permet au gouvernement de prohiber la vente et la distribution de produits « dans des contenants à remplissage unique ».
« Les petites bouteilles d’eau qui sont vendues au Québec et qui ne contiennent que de l’eau provenant des réseaux d’aqueduc, pour moi, c’est un non-sens », a affirmé M. Charette sans pointer d’entreprises du doigt, jeudi. « Donc, ne vous surprenez pas. Dans la prochaine année, on va espérer pouvoir déposer un projet de [règlement]. »
En entrevue avec Le Devoir jeudi, la directrice générale de l’organisme Eau secours, Rébecca Pétrin, a salué la « motivation » de M. Charette « à aller vers une réglementation de plus en plus stricte ». « La seule chose, c’est que, les bouteilles d’eau [à usage unique], j’ai peur que ça mette plus de pression au niveau de la ressource en eau souterraine, que ça délocalise les embouteilleurs des aqueducs vers l’eau de source », a-t-elle dit.
À l’heure actuelle, l’industrie prélève annuellement 800 milliards de litres d’eau au Québec. Benoit Charette n’a pas voulu fixer de cible de réduction de la consommation d’eau, jeudi.