Dubé et Savoie, un duo inattendu

Automne 2018. Des mandarins de l’État québécois s’arrêtent devant des bureaux du troisième étage de l’édifice Honoré-Mercier afin d’inviter ses nouveaux occupants — le premier ministre François Legault et sa suite de conseillers — à confier de grandes responsabilités à Dominique Savoie. « Elle est top », soulignent-ils, préoccupés du sort que la nouvelle administration caquiste réservera à la fonctionnaire de carrière.
Pour cause, François Legault appelait deux ans auparavant au congédiement de Dominique Savoie, qui avait livré, selon le président de l’Assemblée nationale Jacques Chagnon, « un témoignage non préparé et malhabile » devant des parlementaires examinant les irrégularités relevées par l’enquêteuse Annie Trudel dans la gestion du ministère des Transports, dont elle était sous-ministre depuis 2011.
« Dominique Savoie bloquait de l’information. […] Moi, je n’en reviens pas, même, qu’elle soit encore payée actuellement pour être sur une tablette au gouvernement », avait lancé le chef caquiste, François Legault, en septembre 2016, après avoir été questionné sur le rapatriement de la haute fonctionnaire au ministère du Conseil exécutif. Elle passe son temps à « aiguiser des crayons », avait décrié pour sa part Éric Caire.
« Dans l’opposition, tu fais flèche de tout bois », fait valoir un proche de François Legault, un peu gêné, six ans plus tard.
Duo improbable
Juin 2020. Le premier ministre décide de remplacer son duo Santé et Services sociaux : la ministre Danielle McCann et le sous-ministre Yvan Gendron. La « frustration » avait envahi la cellule de crise : les décisions prises au sommet de l’État n’étaient pas suivies assez rapidement et, inversement, les informations du terrain ne parvenaient pas assez vite aux oreilles des décideurs, selon lui. Il appelle en renfort le ministre Christian Dubé et la sous-ministre Dominique Savoie.
Christian Dubé et Dominique Savoie forment « tout un duo » ; le premier établissant la vision, la seconde menant les opérations, souligne un conseiller politique, pointant l’ouvrage Conduire le changement. Feuille de route en huit étapes du professeur émérite de la Havard Business School John Kotter, que lui a « fortement recommandé » son patron… Christian Dubé. « Management et leadership doivent être tous deux présents au sein de la coalition directrice, et fonctionner en tandem, à la manière d’une équipe. Le premier assure la maîtrise du processus tout entier tandis que le second alimente le changement », peut-on lire dans le manuel de référence.
C’est le secrétaire général du gouvernement, Yves Ouellet, qui avait recommandé au premier ministre de confier les commandes du ministère de la Santé et des Services sociaux à Dominique Savoie. Elle s’affairait alors à « mettre de l’ordre » dans la plateforme Je contribue.
Ceux qui l’ont côtoyée ne tarissent pas d’éloges à son égard. « Avec Dominique, on avait l’heure juste », « Elle est beaucoup plus structurée que son prédécesseur », « Tu lui parles, elle focalise son attention sur ce que tu lui dis », « Elle est méthodique », « Elle est immensément respectée : les gens l’écoutent et la suivent. »
« Le “PM” l’apprécie beaucoup », souligne un membre de sa garde rapprochée, avant d’ajouter : « Je pense qu’il est aujourd’hui content de ne pas être parvenu à obtenir sa tête [en 2016]. »
Réforme improbable
Juin 2020. Le nouveau ministre de la Santé, Christian Dubé, et François Legault s’entendent pour s’occuper de l’« urgent » — affronter la deuxième vague de COVID-19 —, mais également de l’« important », c’est-à-dire de renforcer le système de santé tout en accroissant son efficacité. Des employés du cabinet du ministre se mettent immédiatement à la tâche de jeter les bases de ce qui s’avérera l’une des réformes les plus importantes du réseau de la santé.
« Au début, ce n’était pas clair qu’on allait jouer dans les structures », précise un stratège caquiste, rappelant qu’une réorganisation de la « structure » du réseau de la santé était la « dernière affaire » que les élus de la Coalition avenir Québec comptaient entreprendre après leur arrivée au gouvernement, il y a quatre ans et demi. En 2018, ils s’étaient seulement entendus pour apporter des « améliorations à la pièce », comme « offrir un médecin de famille à tous les Québécois ».
Mais la COVID-19 a frappé. En janvier 2022, la commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay, propose « une transformation progressive du système de santé et de services sociaux qui doit s’amorcer par une transformation radicale de la gouvernance ». En juin 2022, la sous-ministre Savoie recommande de « créer une instance formelle de coordination et de supervision pour optimiser l’accès aux soins de santé et aux services sociaux et en améliorer la fluidité ». À la veille de la campagne électorale, Christian Dubé présente sommairement à l’électorat son projet d’agence Santé Québec, qui dirigera les opérations du réseau de la santé et des services sociaux. Mercredi, il a présenté un projet de loi de 1180 articles couchés sur 308 pages.
« On est dans un scénario de “radical change” pour user un terme de QI [quality improvement] », a gazouillé le médecin Joseph Dahine.
Mais « Christian n’aime pas qu’on parle de “réforme” », confie-t-on au Devoir.