Vaste mandat pour la future agence Santé Québec

Christian Dubé a présenté mercredi son volumineux projet de loi visant à créer l’agence Santé Québec, une nouvelle société d’État censée rendre le système de santé « plus efficace » en modifiant, entre autres choses, les règles d’ancienneté du personnel.

Le projet de loi 15, qui reconnaît à « toute personne » le « droit » de recevoir des services de santé adéquats et sécuritaires, contient plus de 1000 articles répartis sur 308 pages. « Ça peut faire peur en termes de volume, mais tout ce qui était nécessaire est là-dedans pour être capable de faire les changements », a déclaré le ministre de la Santé en brandissant l’épais document en pleine conférence de presse.

C’était nécessaire, répète-t-il, parce que la population refuse « le statu quo ».

Le projet de loi 15 prévoit le transfert de nombreuses responsabilités du ministère de la Santé vers la nouvelle agence, qui aura le statut de société d’État.

En faisant de Santé Québec le seul employeur du réseau de la santé, le gouvernement croit pouvoir fusionner les accréditations syndicales, qui passeront de 136 à seulement 4. Le changement fera en sorte d’atténuer les pouvoirs des syndicats locaux d’infirmières, comme l’avait dit mardi François Legault. Concrètement, une infirmière pourra donc conserver son ancienneté si elle change de région de pratique. « Ça fait des années que les infirmières demandent ça », a noté Christian Dubé.

Les médecins spécialistes héritent de leur côté de nouvelles obligations. Leur droit d’exercer dans un établissement pourrait ainsi devenir conditionnel à ce qu’ils se rendent disponibles à un autre endroit sur le territoire pour un certain nombre d’heures par semaine. « On n’est pas en train de chercher des coupables », s’est toutefois défendu le ministre Dubé, en mentionnant que « la presque totalité des médecins font de longues heures ». Il s’agit de « mieux répartir la charge de travail » entre les médecins d’une même spécialité, dit-il.

Pressé de questions à ce sujet, le ministre a fini par laisser tomber cette remarque : « La masse salariale des médecins, au total, c’est près de 9 milliards. Sur 50 milliards de dollars [le budget total de la santé]… Je pense qu’on peut se questionner si c’est optimal. »

Pour régir le nouveau système, le ministre crée aussi une série de postes de directeur à l’échelle des établissements : directeur médical, directeurs de la médecine familiale et spécialisée, directeur des soins infirmiers, directeur des services sociaux, etc.

Autre ajout : un nouveau « comité national des usagers » visera à ce que les plaintes se rendent « au plus haut niveau du réseau ».

Le ministère de la Santé scindé

Cette pièce législative constitue l’un des piliers du plan présenté par le ministre Dubé à pareille date l’an dernier. Cette réforme étalée sur trois ans vise, aux dires du gouvernement, à rendre le réseau « plus humain et plus performant ».

Santé Québec naîtra de la scission du ministère de la Santé. Ce dernier se réservera les grandes orientations du système de santé ; l’agence, elle, sera la gardienne de la performance quotidienne du réseau. Le transfert d’employés entre les deux entités se fera sur une base volontaire, et ces derniers conserveront le droit de faire demi-tour. Jusqu’à 40 % des 1200 employés du ministère pourraient être appelés à déménager, mais aucune perte d’emploi n’est au programme, d’après Québec.

On a aussi appris mercredi que c’est Santé Québec, et non pas le ministère de la Santé, qui sera responsable du déploiement du futur dossier de santé numérique.

Sur le plan financier, le ministre assure qu’il demeure « responsable » du budget de la santé au Québec, qui s’élève à 50 milliards de dollars, mais que cette enveloppe sera par la suite « transférée » à la nouvelle agence. Il soutient en outre que la réforme ne fera pas augmenter les besoins budgétaires, et ce, même si certains médecins spécialistes seront appelés à en faire plus. Pour financer ces gestes, il prévoit puiser dans une enveloppe qui a déjà été octroyée par l’État aux médecins et qui n’a pas été complètement dépensée en raison de la pandémie et du manque de personnel infirmier.

Quant au moment où tous ces changements se traduiront sur le terrain, il faudra être patient : la taille du projet de loi laisse présager de longues journées d’étude en commission parlementaire. Sourire en coin, Christian Dubé a dit aux journalistes que « ce serait tout un succès » d’adopter le projet de loi 15 avant la fin de la session à l’Assemblée nationale, prévue le 9 juin prochain.

Reste aussi à savoir dans quelle mesure les négociations en cours avec les syndicats de la fonction publique et la Fédération des médecins spécialistes du Québec coloreront son destin.

L’opposition réagit à une « réforme majeure »

Les partis d’opposition à l’Assemblée nationale ont tour à tour soulevé des inquiétudes sur les changements que veut apporter le projet de loi 15.

Le député solidaire Vincent Marissal s’est dit inquiet des répercussions potentielles d’un « brassage des structures » du système de santé. « Ce que les Québécois veulent avant tout, c’est avoir accès à des soins rapidement et ne plus attendre des heures à l’urgence ou des mois sur des listes d’attente. Le Québec en a connu, des grandes réformes, et ça ne nous a pas donné plus de soins », a-t-il affirmé.

Pour sa part, le péquiste Joël Arseneau a soutenu que le texte législatif du ministre Dubé « ratait sa cible » en s’attaquant aux structures et à la gouvernance du réseau plutôt qu’à l’amélioration des services aux patients. « La réforme évacue d’ailleurs la notion de la responsabilité ministérielle, de la responsabilité populationnelle et de l’imputabilité », a-t-il ajouté.

Le projet de loi semble être « avant tout un bouclier anti-imputabilité pour le ministre de la Santé », a soutenu de son côté André Fortin, le porte-parole du Parti libéral du Québec en matière de santé. Le député de Pontiac a aussi dit craindre que les patients ne soient pas au coeur des priorités de cette réforme.

Florence Morin-Martel



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