Fier d’avoir baissé l’impôt malgré les critiques

Après avoir tenu sa promesse phare de baisser les impôts, le gouvernement Legault s’emploiera à renouer avec l’équilibre budgétaire d’ici 2027-2028.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Après avoir tenu sa promesse phare de baisser les impôts, le gouvernement Legault s’emploiera à renouer avec l’équilibre budgétaire d’ici 2027-2028.

Le ministre des Finances, Eric Girard, a été saisi d’étonnement par la cascade de commentaires, de chroniques et d’éditoriaux publiés contre la baisse générale de l’impôt sur le revenu — de 8 à 814 $ par année — inscrite dans le Plan budgétaire Un Québec engagé qu’il a présenté mardi dernier.

« Au marché, tout le monde me félicite et me dit merci pour la baisse d’impôt. J’ouvre le journal… Eh boy ! » a-t-il lancé devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain vendredi, selon Bloomberg. La baisse « permanente et dynamique » des impôts poursuit deux objectifs : « augmenter le potentiel de l’économie » et « encourager l’effort de travail », a-t-il répété.

Le cabinet du premier ministre s’était, pour sa part, fait à l’idée que la baisse d’impôt serait dénoncée par les leaders d’opinion. « Selon eux, ce n’est jamais le bon temps de baisser les impôts », sourit un conseiller politique de François Legault, après avoir compté à peine trois textes favorables à l’allégement fiscal durant sa revue de presse, y compris celui de l’ex-chef adéquiste Mario Dumont dans les pages du Journal de Montréal.

Le stratège « préfère » une nouvelle fois « s’appuyer sur l’opinion de la majorité » de la population québécoise — qui voit d’un bon oeil la baisse d’impôt caquiste — que sur celle des commentateurs politiques pour évaluer le succès de la mesure fiscale. Près des deux tiers (64 %) des Québécois estiment que « baisser l’impôt est une bonne mesure pour les aider dans un contexte de forte inflation », rappelle-t-il, pointant un sondage effectué par Léger à la demande de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, il y a un mois.

Non seulement la CAQ, mais également le Parti libéral du Québec et le Parti conservateur du Québec avaient promis, en campagne électorale, de tirer vers le bas les taux des deux premiers paliers d’imposition : c’est-à-dire la CAQ, de 1 point ; le PLQ, de 1,5 point ; le PCQ, de 2 points. Bref, plus de 68 % des électeurs ont appuyé une formation politique promettant une baisse d’impôt. « Il y avait une sacrée majorité du monde qui a voté pour des baisses d’impôt des deux premiers taux du barème », fait remarquer le titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, Luc Godbout.

Pour y arriver, l’équipe de la Coalition avenir Québec a choisi de priver le Fonds des générations de 1,7 milliard de dollars par année plutôt que de sabrer les dépenses de portefeuilles ou encore d’alourdir le déficit de l’État québécois — ce qui leur permettrait, croyait-elle, d’échapper aux critiques voulant qu’elle consente à une baisse d’impôt au détriment des grandes missions de l’État. Le budget du Québec 2023-2024 consacre une hausse des dépenses en santé et des services sociaux de 7,7 %, et en éducation de 6 %. « Il a voulu se prémunir du risque de se faire critiquer, de se faire dire qu’il fait des baisses d’impôt en finançant moins les services publics », souligne M. Godbout.

Trop peu pour les personnes « qui en arrachent » ?

Plus d’une personne a été étonnée d’apprendre cette semaine que « le monde qui en arrache au Québec, le monde qui a de la misère à payer l’épicerie, le monde qui paie des loyers qui n’ont pas d’allure, le monde qui travaille fort, mais qui finit le mois les poches vides » — expressions employées par le porte-parole de Québec solidaire Gabriel Nadeau-Dubois — bénéficiera d’un léger allégement fiscal, soit 108 $ pour une personne célibataire vivant seule et gagnant 30 000 $ par année ou encore 210 $ pour une personne célibataire vivant seule et gagnant 40 000 $ par année.

« Pourquoi la caissière qui travaille dans l’épicerie mérite huit fois moins d’aide en baisse d’impôt que le p.-d.g. qui profitera d’une baisse d’impôt [de 814 $] ? » a demandé GND cette semaine. Le premier ministre François Legault a rétorqué que la classe moyenne a aussi « besoin d’aide ». « Qu’est-ce qu’il [Gabriel Nadeau-Dubois] dit à ces gens-là de la classe moyenne : vous ne méritez pas d’aide ? Vous n’avez pas besoin d’aide ? Qu’est-ce qu’il dit aux infirmières ? Qu’est-ce qu’il dit aux enseignantes ? » a-t-il demandé.

Pour dresser « un portrait un peu plus nuancé » du budget du Québec 2023-2024, il faut tenir compte de la bonification du crédit d’impôt remboursable pour la solidarité de 78 $ destinée à une personne vivant seule dans un logement, à moins que celui-ci ne soit subventionné, indique M. Godbout.

La députée libérale Virginie Dufour a, elle, reproché au ministre des Finances de ne pas avoir « entendu le cri du coeur des milliers de Québécois » victimes de la crise du logement. À ses yeux, le feu vert donné à la construction d’à peine 1500 nouveaux logements abordables est « ridicule ».

Pourquoi la caissière qui travaille dans l’épicerie mérite huit fois moins d’aide en baisse d’impôt que le p.-d.g. qui profitera d’une baisse d’impôt [de 814 $] ?

 

Les réactions marquées à la baisse générale des impôts décrétée par Eric Girard rappellent celles entendues ou lues après la baisse de 950 millions annoncée par le PLQ de Jean Charest en 2007, dans la foulée du règlement du déséquilibre fiscal avec Ottawa. Le premier ministre fédéral Stephen Harper s’était indigné, persuadé que l’argent réclamé par Québec servirait à combler des besoins, non pas à baisser les impôts. « Ça a marqué l’histoire », se remémore Luc Godbout.

Déficit zéro, puis d’autres baisses d’impôt

Après avoir tenu sa promesse phare de baisser les impôts, le gouvernement Legault s’emploiera à renouer avec l’équilibre budgétaire d’ici 2027-2028. « Ça ne sera pas si facile », prévient le fiscaliste. « Il faut que tes dépenses augmentent d’un milliard de moins que la croissance de tes revenus chaque année pendant quatre, cinq ans », explique-t-il.

Et après ? Durant la dernière campagne électorale, l’équipe de François Legault s’est engagée à abaisser d’un point de pourcentage les deux premiers paliers d’imposition en 2023, puis de 0,25 point de pourcentage par année de 2027 à 2032… soit dans d’éventuels troisième et quatrième mandats caquistes.

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